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INSTITUTIONNALISATION

Comment naissent les institutions ? Par quel processus l’Assemblée nationale (Le Digol, 2006), un problème public comme celui de l’évasion fiscale (Lascoumes et Nagels, 2014) ou encore le hijab (Beaugé, 2012) ont-ils acquis le statut de réalité ? Autant de questions sociologiques que la notion d’institutionnalisation permet de se poser lorsqu’on s’intéresse à la genèse puis à l’existence d’une organisation ou d’une représentation sociale donnée.

Les temps de l’institutionnalisation

L’institutionnalisation est un processus par lequel une réalité sociale, quelle qu’elle soit, est en train de se faire jour au sein d’une société ou de l’un de ses groupes. Dit autrement, c’est un mécanisme au cours duquel ce qui n’était pas encore perçu comme existant par des agents sociaux prend peu à peu forme par et en leur présence, au travers de leurs activités mentales, de leurs discours et pratiques, et finit par se voir doté d’une extériorité, d’une force ou d’une consistance suffisantes à leurs yeux pour bénéficier du qualificatif de réalité. Il existe deux manières de considérer ce phénomène d’institutionnalisation. La première est très générale et conduit souvent à considérer qu’on est en présence d’une question de philosophie de la connaissance. Se demander comment nous savons ce que nous savons et, plus encore, dans quelle condition la réalité s’est construite puis imposée dans le champ de nos perceptions revient à s’interroger à la fois sur nos catégories d’entendement, sur ce que nous savons et voulons voir du monde en réalité, mais aussi plus largement sur ce qui fonde nos croyances et nos points de vue, sans quoi nulle réalité ne peut surgir de rien. La seconde façon de poser la question de l’institutionnalisation est, quant à elle, plus prosaïque et davantage sociologique. Elle amène à saisir le plus concrètement possible, grâce à l’enquête de terrain notamment, par quels phénomènes de création sociale, que ce soit une langue, un rite, une règle de comportement, une pratique qui se répète dans le temps, une croyance en une divinité, une représentation stabilisée, un groupement d’individus et plus largement encore ce qu’on appelle une institution deviennent tangibles et reconnaissables parmi d’autres réalités et institutions composant le monde social. On l’aura compris, l’institutionnalisation est le processus d’objectivation sociale au terme duquel une institution « sort de terre ». Mais pas seulement. L’institutionnalisation, c’est aussi le remous continu que connaît une institution, sans quoi cette dernière irait en s’effaçant peu à peu de la conscience et des activités des agents sociaux tant ces derniers l’auraient désinvestie soit par choix ou intérêt quand l’heure est au changement, soit par indifférence quand les mornes habitudes conduisent à l’oubli. Comme le soulignent Bernard Lacroix et Jacques Lagroye en 1992 au sujet de la présidence de la République, tout ou presque peut en effet se rejouer en situation de conjoncture de crise comme chaque aspect de cette réalité en cours de stabilisation se voit toujours pour partie renégocié dans le flot continu des petites habitudes et des nouveautés microscopiques qu’elle permet.

Se poser des problèmes scientifiques en termes d’institutionnalisation n’est pas uniquement une posture d’historien qui voudrait comprendre comment les choses se sont formées. C’est également, à rebours d’une conception accréditant la thèse de l’« Immaculée Conception », y repérer le rôle fondateur des institutions antérieures dans la sociogenèse des phénomènes institutionnels plus récents. C’est enfin mettre au jour la place prépondérante qu’occupent certains « entrepreneurs » qui, souvent, ont empêché que d’autres réalités possibles et pensables adviennent. S’il y a institutionnalisation, c’est qu’il y a des enjeux de pouvoir. On pense[...]

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Écrit par

  • : professeur de science politique à l'université de Paris-I Panthéon-Sorbonne

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