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INSTITUTIONNALISATION

Enjeux de pouvoir

Il n’y a pas d’institutionnalisation sans politique. Il n’y a pas d’objectivation sociale sans enjeu ni conflit. Cela ne se voit jamais aussi clairement qu’au sujet des institutions naissantes comme peuvent l’être les institutions qui façonnent nos régimes politiques. Ainsi, ces processus s’éclairent quand on s’arrête sur l’identité de ceux qui construisent ou instaurent telle ou telle réalité institutionnelle. Leurs origines sociales comme leurs intérêts passés et présents aident à comprendre pourquoi ils participent volontairement ou non de l’édification d’une institution. Au sein de cette dernière, des textes légitiment et assurent juridiquement son existence, des habitudes s’acquièrent, des rites et des types de rôles s’inventent, deviennent à terme les règles du jeu qu’il sera de plus en plus difficile de transgresser. L’institutionnalisation qui suit son cours est toujours celle qui est mise au service de ceux qui, en devenant les fondateurs d’un ordre ou d’une association quelconque, ont remporté la première manche contre des entreprises alternatives. Les fondateurs pourront toujours revendiquer d’en être les bienfaiteurs désintéressés et les sages gardiens, il est à parier qu’ils sont aussi ceux qui sont parvenus à universaliser leurs intérêts au nom des intérêts généraux que défend l’institution dont ils ont le contrôle. Les conflits entre groupes sociaux ou certains de leurs ressortissants, indistinctement, sont des conflits au sujet d’une institutionnalisation que leurs jeux nourrissent.

Appartenir à une assemblée en formation, être de la partie au sein d’un groupe d’intérêt qui se coalise ou encore devenir le porte-parole d’une nouvelle formation politique apporte à ceux qui s’y engagent un champ d’expression et d’action relativement vaste. S’engager de la sorte s’apparente à la conquête d’une forme de liberté où s’inventent de nouvelles modalités d’existence collective et de participation. Mais inévitablement, cela constitue aussi un ensemble de contraintes progressives avec lesquelles les membres ont de plus en plus partie liée. Dans cette perspective, l’institutionnalisation est tout à la fois production de ressources, qu’elles soient économiques, juridiques ou encore symboliques, mais aussi fabrication de règles contraignantes qui participent à l’ordonnancement du monde et des acteurs. À mesure que s’érige une formation sociale, les agents sociaux qui en sont partie prenante découvrent plus ou moins confusément qu’il n’y a pas de débouchés possibles ni de conquêtes sans risque d’aliénation. Dans cette perspective-là, l’institutionnalisation a toujours plus ou moins des effets de socialisation et des espèces d’emprise sur les individus. Elle façonne. Par un processus d’incorporation et d’intériorisation, dans tous les cas, à des degrés divers et variés, les individus concernés acquièrent les manières de voir et de vivre dont l’institution en procès est la matrice.

Le processus d’institutionnalisation a des visages multiples (Lacroix, 1992). Il peut aboutir à l’édification d’une « institution totale » (Goffman, 1968), où la séparation avec l’extérieur est forte (prisons et hôpitaux psychiatriques), parce qu’il se veut ambitieux sinon révolutionnaire. Il peut avoir pour projet d’inventer des sujets nouveaux (Pennetier, Pudal, 2014). Mais l’institutionnalisation débouche le plus souvent sur la mise en place d’institutions ouvertes ayant des rapports de dépendance avec d’autres institutions ou d’autres mécanismes d’institutionnalisation. Ces types d’interdépendance dessinent des configurations (Elias, 2003) en mouvement dans lesquelles sont pris les individus et leurs institutionnalisations respectives. En d’autres termes, en élargissant davantage encore la focale, on pourrait dire que l’institutionnalisation est ce mouvement constant et perpétuel[...]

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Écrit par

  • : professeur de science politique à l'université de Paris-I Panthéon-Sorbonne

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