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INSTITUTIONS

Le mot « institution », avant de recevoir les sens divers que les sociologues contemporains lui ont donné, avait dans l'usage classique deux emplois principaux. Il désignait d'abord l'ensemble des lois qui régissent une cité : la manière dont les pouvoirs publics et privés s'y trouvent répartis, les sanctions et les ressorts qui mettent en œuvre leur exercice régulier. Une question devenue classique se pose alors : cet agencement est-il contingent, particulier, arbitraire ? Les institutions sont-elles des artifices et des conventions ? Ou bien sont-elles susceptibles de traduire un ordre naturel, et donc universel, dont bon nombre de philosophes nous rappellent l'existence quand nous venons à nous en écarter ?

Solon, législateur d'Athènes, Juste de Gand et Pedro Berruguete - crédits : Fine Art Images/ Heritage Images/ Getty Images

Solon, législateur d'Athènes, Juste de Gand et Pedro Berruguete

Les classiques se demandaient aussi comment un tel agencement, si peu probable quand on considère la divergence des opinions et des intérêts, avait été produit, et comment les mêmes manières, en dépit de tant de causes d'altération, se maintenaient de génération en génération. Il faut, dans cette perspective, rechercher les conditions qui assurent la transmission et la répétition régulière de ces « bonnes manières ». La pensée classique s'est orientée dans deux voies, l'une que l'on peut appeler politique et l'autre pédagogique, étant bien entendu que les deux voies se confondent au moins partiellement, au point de départ et au point d'arrivée. Le personnage du législateur – du nomothète – est au centre de la première perspective. Celui qui donne des lois à un peuple, Solon ou Lycurgue, fixe des manières qui deviennent obligatoires pour chaque citoyen, à sa place et à son rang. Mais cette institution initiale du législateur se trouve répétée dans les moments successifs du temps par le pédagogue qui enseigne aux jeunes générations, la tradition mos majorum.

Un texte de Montesquieu (De l'esprit des lois, liv. XIX, chap. iv) donne une idée de la richesse et de l'ambiguïté de l'usage classique. Ayant à définir l'« esprit général d'une nation », il observe que « plusieurs choses gouvernent les hommes : le climat, la religion, les lois, les maximes du gouvernement, les exemples des choses passées, les mœurs et les manières ». Et, un peu plus loin (liv. XIX, chap. xvi), il propose deux couples de distinctions : « Les mœurs et les manières sont des usages que les lois n'ont point établis, ou n'ont pas pu, ou n'ont pas voulu établir [...] Il y a cette différence entre les lois et les mœurs que les lois règlent plus les actions du citoyen, et les mœurs règlent plus les actions de l'homme. Il y a cette différence entre les mœurs et les manières que les premières regardent plus la conduite intérieure, les autres l'extérieure. » Quant à l'étendue de ces différences, elle est un indice de la qualité du gouvernement : « Les législateurs de la Chine confondirent la religion, les lois, les mœurs et les manières. Tout cela fait la morale, tout cela fait la vertu. Les préceptes qui regardaient ces quatre points firent ce que l'on appela les rites » (liv. XIX, chap. xvii). De ce texte, on peut tirer deux propositions : dans certaines sociétés – et Montesquieu cite la Chine et la Rome des Douze Tables –, toutes les conduites tendent à être ritualisées ; et, pour autant qu'il y ait des différences entre « religion, lois, mœurs et manières », « les lois suivent les mœurs » – et non l'inverse. Mais, quelques pages plus loin, Montesquieu cite sans la nommer le cas de l'Angleterre moderne (liv. XIX, chap. xxvii) pour montrer comment « les lois peuvent contribuer à former les mœurs, les manières et le caractère d'une nation ». On tourne ainsi dans le « cercle » où s'est installée la pensée classique : la régularité des conduites dépend-elle de ce que celles-ci reposent sur[...]

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Solon, législateur d'Athènes, Juste de Gand et Pedro Berruguete - crédits : Fine Art Images/ Heritage Images/ Getty Images

Solon, législateur d'Athènes, Juste de Gand et Pedro Berruguete

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