INTÉGRATION ET MESURE
La théorie de l'intégration joue en mathématique un rôle extrêmement important. C'est une théorie riche et complexe. Il ne sera pas question ici d'en donner une description exhaustive ni d'en aborder les assez redoutables aspects techniques. On s'efforcera de mettre en lumière les grandes idées simples qui y sont à l'œuvre et de montrer comment elles lient les aspects les plus élémentaires de la théorie de la mesure aux développements les plus généraux de la théorie de l'intégration.
Le problème initial Généralités
Mesurer est une activité dont l'existence est attestée dans toutes les sociétés historiques, et il est assez surprenant de constater que ce n'est que dans un passé relativement récent, au début du xxe siècle, que la réflexion mathématique a commencé à en établir une théorie claire et cohérente.
Il faut tout de suite remarquer que le problème, pris dans sa plus grande généralité, reste encore mystérieux : on ne sait pas encore très clairement, par exemple, le sens qu'il faut donner au mot « mesurer », ni même si on peut vraiment lui donner un sens dans le domaine des sciences humaines, bien qu'on ait l'impression qu'une bonne conception de la mesure puisse y être l'origine de progrès décisifs.
Il faut encore remarquer que le mot « mesure » a, en mathématique, un sens plus restreint qu'en physique, et que ce que le mathématicien appelle théorie de la mesure ne s'applique directement qu'à une partie de l'activité du physicien et ne vise que la structure conceptuelle à l'exclusion des procédés expérimentaux de détermination des valeurs numériques qui relèvent de la métrologie.
Ce qui a retardé la naissance d'une bonne théorie de la mesure a été l'incapacité où est demeurée longtemps l'humanité de distinguer nettement entre ce que l'on mesure d'une part et l'échelle avec laquelle on mesure d'autre part, et de concevoir clairement ce qui les lie. L'échelle est constituée par le corps ordonné R des nombres réels (cf. nombres réels), dont la théorie définitive n'a été élaborée qu'à la fin du xixe siècle (G. Cantor, R. Dedekind), mais qui avait été déjà presque totalement construit par le mathématicien grec Eudoxe, au ive siècle avant J.-C., sous le nom, que la tradition a conservé, de mesure des grandeurs (et de rapports de grandeurs), qui est révélateur de la confusion signalée plus haut. En réalité, Eudoxe ne considérait que ce que nous appelons les nombres réels positifs. Il le faisait d'une manière rigoureusement correcte et extrêmement pure : il est émouvant pour le mathématicien contemporain de constater le souci, très moderne, qu'a montré Eudoxe de ne rien introduire qu'il ne puisse construire par combinaison de concepts préalablement bien délimités. Mais sa construction, impeccable au point de vue de la rigueur, en ce qui concerne l'édification d'une échelle de valeurs, était beaucoup moins claire en ce qui concerne les « grandeurs ». Elle était en outre d'une complexité qui l'a rendue inutilisable pour la plupart de ses successeurs ; ceux-ci ne l'ont pas comprise et n'en ont retenu que des bribes, qu'ils se sont transmises avec une telle persévérance qu'on les trouve encore à l'état de vestiges peu intelligibles dans la plupart des manuels élémentaires. Ce qui a manqué à Eudoxe, c'est une autre idée très moderne qui consiste, lorsque l'on a construit, à partir d'un matériel conceptuel initial, de nouveaux êtres mathématiques très complexes par rapport aux éléments initiaux, à considérer les propriétés essentielles de ces nouveaux êtres et à repartir en les prenant à leur tour comme éléments initiaux d'une nouvelle construction. Dans la construction d'Eudoxe, comme dans celle de Dedekind, un réel apparaît comme un ensemble de rationnels, chaque rationnel étant lui-même un ensemble[...]
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Écrit par
- André REVUZ : professeur à la faculté des sciences de Paris, directeur de l'Institut de recherche sur l'enseignement des mathématiques
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