INTÉGRISME
La « Sapinière » (1909-1921)
La Sapinière était le nom familier que s'était donné une pieuse association internationale fondée sous Pie X par un prélat romain notoire, Mgr Benigni, pour défendre précisément le catholicisme intégral. De son nom véritable, elle s'appelait Sodalitium pianum, ou Sodalité saint Pie V, placée – on le voit – sous le patronage du pape de la dernière croisade et de la victoire de Lépante sur les Turcs (1571).
Les circonstances, qui n'ont guère favorisé ni le développement de l'association ni la carrière de son directeur, ont, en revanche, offert un extraordinaire terrain à leur mythisation. Devant ces deux faits de sens contraire, le rôle de l'historien n'est pas seulement de rétablir la vérité, de nettoyer une route encombrée de légendes et obscurcie d'incertitudes ; il est aussi de prendre la mesure de ce phénomène psycho-sociologique pour en déchiffrer la signification. Deux courants rivaux dont les forces étaient modestes se sont fait peur mutuellement ; chacun a grossi ses terreurs en portant au crédit de l'autre la puissance qu'il lui attribuait et dont, pour leur compte, ils se sentaient démunis l'un et l'autre. Ce jeu de miroirs fantastiques est une donnée fondamentale pour la compréhension de cette période.
Umberto Benigni (1862-1934) était né à Pérouse et y avait été ordonné prêtre à vingt-deux ans, au diocèse de celui qui, en 1878, était devenu Léon XIII. D'un tempérament combatif, il avait aussitôt été un pionnier de l'action catholique et du catholicisme social, fondant en 1892 la première revue catholique sociale d'Italie, la Rassegna sociale. Sa carrière est agitée. Son succès commence par l'obliger à s'éloigner : il part d'abord à Gênes, comme rédacteur en chef d'un quotidien catholique ; puis à Rome, où il végète jusqu'à ce que Léon XIII le nomme rédacteur en chef d'un autre quotidien catholique, qu'il abandonne peu après l'avènement de Pie X. Parallèlement à cette activité, il se fait, par ses publications, une réputation d'érudit et d'historien. En 1906, il entre dans l'administration pontificale, devient sous-secrétaire de la congrégation des Affaires ecclésiastiques extraordinaires et le cinquième personnage de la secrétairerie d'État. En 1911, il se brouille définitivement avec son chef, le cardinal Merry del Val, pour des raisons demeurées inconnues (en fait, parce qu'il déplorait son manque de fermeté à l'égard des catholiques allemands) et démissionne. Pie X lui confie un poste très honorable mais tout honorifique. Jusqu'à sa mort, il ne sortira plus de cette retraite, qui, en revanche, lui laisse tout son temps pour d'autres besognes : sa propagande antimoderniste et contre-révolutionnaire, voire antisémite, dont une partie plonge en pleine clandestinité. La guerre de 1914 achève de le convaincre que le démocratisme flanqué du syndicalisme qui envahit l'Église n'est que le fourrier du socialisme : « l'internationale blanche » prépare le lit de l'internationale rouge.
Venu du journalisme et de l'histoire aux affaires diplomatiques et à la politique étrangère, il apportait une expérience de la presse et un intérêt pour l'information religieuse qui étaient tout nouveaux au Vatican. Ainsi prit-il l'initiative d'un bulletin de nouvelles religieuses, rédigé d'abord en italien (La Corrispondenza romana), puis en français (La Correspondance de Rome) que rendirent vite célèbre les hostilités qu'il suscita. Ce bulletin devint le siège d'une agence et le nœud d'un réseau de correspondants, les uns accrédités dans la grande presse, les autres responsables de feuilles catholiques. C'est à eux principalement, mais aussi à tous les sympathisants qui entendaient soutenir cet effort,[...]
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Écrit par
- Émile POULAT : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
Classification
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BENIGNI UMBERTO (1862-1934)
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