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INTELLECT & INTELLIGIBLES

Du latin intellectus (le terme grec correspondant est nous), l'intellect est le principe de la pensée sous sa forme la plus haute ; à l'époque moderne lui correspondent des termes aux nuances particulières : intelligence, raison, esprit ; au xviie siècle : entendement. Pour Aristote, les aristotélisants arabes et latins, l'intellect, capable d'intuition, est supérieur à la raison (grec, dianoia ; latin, ratio) liée aux images et procédant par discours compliqué. Saint Augustin distingue raison supérieure et raison inférieure. Kant distingue Verstand (entendement au sens de pouvoir subalterne unificateur du divers) et Vernunft (raison).

Pour Aristote, dans le traité De l'âme, l'intellect est réalité substantielle ; vu sa destination à tout connaître, il est de nature « séparée » du corps, c'est-à-dire supérieur au niveau sensible, et donc incorruptible. Dans la Métaphysique (livre Q), Dieu est pensée de la pensée, car, intellect, il exerce la plus sublime des intellections, celle qui a pour objet la réalité la plus noble, Dieu lui-même. L'école développe ici plusieurs problèmes : quel est le rapport entre l'âme et l'intellect ? l'intellect n'est-il pas unique ? Plotin fait de l'intellect l'hypostase intermédiaire entre l'Un et l'Âme — cf. traité Des hypostases qui connaissent (Ennéades, V, iii). Chez les commentateurs grecs, arabes et latins d'Aristote, les deux intellects du De anima (intellect « possible » ou réceptif, intellect agent) deviennent quatre : matériel, en disposition (en habitus, acquis), en acte, agent (souvent identifié à Dieu). Pour Averroès, l'homme ne dispose que de l'intellect passif (matériel), périssable ; l'intellect (possible) est unique pour tous. Appuyé sur De anima (414 a 12 et 429 a 23), Thomas d'Aquin oppose une autre interprétation : l'intellect réceptif est personnel ; il est chez l'homme le principe animateur du corps.

Pour Kant, la raison pure, suprême faculté de connaître, contient les principes de la connaissance exclusivement a priori (Critique de la raison pure, B 863, et 24) ; elle est le lieu des idées a priori du monde, de l'âme et de Dieu (ibid., B 383-384). Pour Hegel, l'entendement (au sens kantien) est relatif au fini et au conditionné, la raison à l'infini et à l'inconditionné (La Science de la logique, 3e éd., paragr. 28 et 45) ; l'esprit (Geist) est un moi qui est un nous, un nous qui est un moi (Phénoménologie de l'esprit, iv). Hegel se réfère à la théologie du Verbe divin incarné et récapitulateur.

L'intelligible est ce qui est l'objet de connaissance intellective : noêtos (intelligibile, intellectum) ; eidos (species [ou forma]intelligibilis), logos (ratio), d'où la raison comme système des vérités éternelles, la raison d'être au sens de principe d'explication. L'intelligible se distingue de l'objet de connaissance sensible, aisthêton, sensibile (empirique pour Kant). Les Idées de Platon sont ici le repère principal, d'où l'emploi du pluriel : intelligibles. Opposé aux Idées comme réalités en acte, Aristote les admet en un sens virtuel : « L'âme intellective est le lieu des Idées [... en tant que] formes non pas en acte mais en puissance » (De l'âme, III, 4, 429 a 27 et suiv.). L'intellect agent promeut les formes intelligibles à l'acte à partir des choses sensibles où elles sont en puissance. « Pour les réalités sans matière, l'intellect est identique à l'intelligible » (430 a 3 et suiv.). « Le savoir en acte et la réalité connue sont une seule et même chose » (430 a 19-20).

Philon forge la formule « monde intelligible » pour les Idées situées dans la pensée divine. Plotin consacre au sujet deux traités[...]

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  • ANALOGIE

    • Écrit par , et
    • 10 427 mots
    ...triple niveau de l'étant, du vivant et du pensant. La capacité réceptrice définissant l'humanité de l'homme, autrement dit son intellectualité (car « l'homme en tant qu'homme est purement intellect »), est elle-même incommensurable avec l'analogie constitutive de l'étant inanimé et du vivant irrationnel....
  • ARISTOTE (env. 385-322 av. J.-C.)

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    • 23 786 mots
    • 2 médias
    ...qu'à l'opinion. Aristote ne renonce pas à cette coupure ; simplement, il la déplace ; au lieu de séparer deux mondes comme chez Platon, un monde intelligible et un monde sensible, elle devient désormais intérieure au seul monde qu'Aristote tienne pour réel, séparant alors deux régions de ce monde...
  • AVERROÈS, arabe IBN RUSHD (1126-1198)

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    • 3 288 mots
    ...commentaires du traité De l'âme exposent une théorie de la connaissance qui exploite les passages, quelque peu obscurs, où Aristote parle des intellects : celui qui reçoit l'intelligible comme le sens reçoit le sensible, et celui qui est la cause de la connaissance. Averroès explique que, si...
  • AVERROÏSME

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    • 1 586 mots
    ...deux dans la condamnation de 1277. D'après ses œuvres certainement authentiques et selon des témoignages sûrs, on sait que Siger a enseigné l'unité de l'intellect, niant d'abord qu'il fût la « forme » du corps humain, admettant ensuite que, bien qu'unique pour tous les hommes, il entrait dans la composition...
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