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INTELLECTUEL

Le mot intellectuel est né durant l'affaire Dreyfus, quand des professeurs, des écrivains, des artistes dénoncèrent l'injustice faite au capitaine Dreyfus, accusé de haute trahison. Dès lors, le mot intellectuel renvoya plus à une prise de position éthique et politique qu'à la nature intellectuelle des activités professionnelles de ceux qui s'en réclamaient. Le mot se répandit en Europe. En anglais, assez difficilement : les dictionnaires indiquent l'équivalent péjoratif de intelectual (highbrow ou egghead), un peu comme si l'ironie anglo-saxonne acceptait mal la solennité que revêtait en français le mot intellectuel. En Espagne, le mot intelectual fut employé presque immédiatement avec enthousiasme par certains et par l'opinion commune, mais avec une nuance péjorative, si l'on excepte son application à des figures indiscutées comme Ortega y Gasset ou Miguel de Unamuno. En Italie, après une brève acceptation, imitée du français, le mot sous le fascisme eut parfois une valeur insultante. Avec la chute de Mussolini, l'importance nouvelle revêtue par les partis de gauche, le mot inttelletuale connut une grande vogue. L'Espagne franquiste donna un sens péjoratif au mot intelectual, tout en revendiquant des intellectuels comme Dionisio Ridruejo ou Onesimo Redondo. Dans les revues d'opposition comme Cuadernos para el Dialogo, très sensibles aux débats franco-français, le mot prit vite un sens dreyfusard, qui devint le sens courant après la mort de Franco.

Le dictionnaire Robert propose du substantif intellectuel la définition suivante : « dont la vie est consacrée aux activités intellectuelles ». Dans l'édition de 2004, cette définition plus technique qu'éthique est précédée d'une autre, négative : « où l'intelligence a une part prédominante ou excessive » suivie de « qui a un goût prononcé ou excessif pour les choses de l'intelligence, de l'esprit, chez qui prédomine la vie intellectuelle », et donne comme synonyme cérébral. Cette définition peut surprendre. Elle traduit une notion en crise, étrangère aux certitudes des lendemains de l'affaire Dreyfus. Elle paraît peu pertinente pour déterminer sociologiquement le monde intellectuel. Le métier n'est plus déterminant. Donc, pour faciliter l'analyse, on retiendra ici une proposition de Pascal Ory. Il y aurait une définition sociologique et technique de l'intellectuel et une définition éthique. Seule la seconde s'appliquerait aux figures de l'intellectuel nées à la suite de l'affaire Dreyfus. Cette différenciation est séduisante car elle permet de mieux cerner l'archéologie de l'intellectuel moderne et de mieux comprendre le processus de légitimation dont il bénéficie.

Les travailleurs de l'intelligence

Si l'on s'en tient au premier sens de la définition, fondé sur une opposition entre manuel et intellectuel, on peut l'appliquer à une large part de ceux qui pensent et écrivent de l'Antiquité au xviiie siècle. À cet égard, Érasme (1467 env.-1536) constitue un cas exemplaire. Né à Rotterdam, il s'est formé dans les Provinces-Unies et à Paris, a obtenu son grade de docteur à Turin. Il gagna sa vie comme précepteur, voyagea dans toute l'Europe. Il correspondit avec Thomas More, Juan Luis Vivés, Guillaume Budé. Son œuvre est d'abord philologique, (édition en grec du Nouveau Testament, édition critique des lettres d'ordre de saint Jérôme). Il a pratiqué sur le modèle latin l'éloge ironique (Éloge de la folie) et dénoncé une conception machiavélienne du pouvoir (L'Institution du prince chrétien). Il a construit une œuvre pédagogique et théologique (les Colloques et Du Libre arbitre). Érasme est à la fois un savant et un philosophe engagé religieusement et moralement. La notion de savant renvoie[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite de l'université de Tours, Institut universitaire de France

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Médias

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