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INTELLIGENCE

De tous les concepts que la psychologie a hérités de la tradition philosophique et religieuse, celui d'intelligence est sans doute le plus marqué par ses antécédents culturels. L'intelligence représente la fonction par laquelle l'homme a essayé de se définir dans l'échelle des êtres, c'est-à-dire de se situer par rapport à son inférieur, l'animal, et par rapport à son supérieur, la divinité. Dans la tradition occidentale, l'homme s'est toujours considéré comme un entre-deux participant de deux règnes (l'ange et la bête), mais, comme sa parenté avec le divin est moins manifeste que son appartenance au règne animal, il s'est constamment efforcé de dégager ce qui le distingue de l'animal et ce qui le rapproche de la divinité. C'est dans ce contexte que s'est développée la notion d'intelligence, conçue comme fonction spécifique de l'homme. Il en résulte que, par rapport à l'animal et aux fonctions qui le caractérisent, l'intelligence a été définie par différence, tandis que vis-à-vis de la divinité l'intelligence a été définie par ressemblance.

Distinguée de l'habitude et de l'instinct, puis des opérations des calculateurs, en même temps que référée à l'intuition, l'intelligence ne quittera vraiment le domaine de la métaphysique pour entrer dans celui de la psychologie qu'en se laissant décrire comme une série d'activités dont il est impossible de donner une théorie avant de les avoir délimitées et analysées. On verra peut-être alors disparaître, dans un nouveau champ conceptuel, la notion d'intelligence comme désignant une fonction spécifiquement humaine.

L'héritage philosophique

Dans le contexte philosophique où l'on définit l'intelligence à la fois par différence et par ressemblance, on oppose la plasticité de cette fonction à la stéréotypie de l'habitude. Aux circuits courts et rigides que met en œuvre l'instinct pour atteindre ses buts on oppose les circuits longs et modifiables qu'élabore l'intelligence pour parvenir aux siens. À la passivité de la perception subissant le réel qui impose la contrainte de sa présence on oppose la liberté de l'intelligence qui, dans son activité d'abstraction, opère une sélection dans ce qui lui est livré par les sens et isole ce qui est donné sous forme non dissociée dans la perception. À l'immédiateté de la perception qui fournit des images du réel comme par impression (la sensation a souvent été regardée comme un contact) on oppose la capacité qu'a l'intelligence de construire des objets abstraits, qui ne sont pas des copies des objets réels, et de composer ces objets en systèmes qui constituent des univers autres que celui du réel. Ces constructions obéissent à des règles : les mathématiques et la logique en sont les exemples les plus achevés, mais les règles sont présentes dans toutes les constructions abstraites, composition littéraire ou artistique, jeux de toutes sortes dans lesquels s'exerce l'ingéniosité des humains.

Ces différentes caractéristiques attribuées à l'intelligence quand on l'oppose aux fonctions qui appartiennent également à l'animal n'épuisent pas le contenu de l'intelligence tel qu'on l'envisage habituellement. Il y manque l'aspect le plus noble, l'intuition, à savoir la possibilité de rassembler en un acte unique de pensée une longue chaîne de raisonnements. Si l'intuition est conçue comme l'activité la plus noble de l'intelligence, c'est qu'elle rapproche l'homme de la divinité. Dans la mesure où l'intuition permet d'échapper au successif, au fractionnement temporel qui caractérise le discursif, elle se rapproche de l'acte par lequel se définit la divinité, à savoir la saisie et l'engendrement dans un même acte de tout le divers. L'intuition est l'acte dans lequel l'homme éprouve[...]

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