Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

INTERACTIONS (physique) Unification des forces

Un cadre mathématique commun : les théories de jauge

L’invention de la physique quantique et la découverte des forces nucléaires au début du xxe siècle exposent le programme d’unification des forces à de nouveaux défis. Au contraire de la transposition de l’électromagnétisme dans le cadre quantique, unifier les interactions nucléaires nécessitera plus de temps et d’inventivité, en particulier à cause d’une caractéristique essentielle de ces forces : elles n’agissent qu’à très courte portée, de l’ordre de la taille du noyau atomique, soit quelques femtomètres (1 fm = 1015 m). Le progrès viendra de la découverte d’un principe de symétrie sous-jacent à la théorie électrodynamique. En généralisant ce principe, on parviendra dans les années 1970 à décrire les interactions nucléaires fortes et faibles dans le même cadre mathématique que l’électrodynamique quantique et, ce faisant, à progresser vers l’unification des forces.

Pour détailler les étapes de cette construction des « théories de jauge », il est nécessaire de remonter aux travaux de la mathématicienne allemande Emmy Noether (1882-1935), qui démontre, en 1918, que l'invariance d'une théorie physique par rapport à une transformation continue se traduit par l'existence d'une quantité conservée. Réciproquement, pour toute quantité conservée, il existe une symétrie sous-jacente. Hermann Weyl (1885-1955) applique cette idée à l’électromagnétisme et à une transformation dilatant l'échelle des longueurs, qu’il appelle « transformation de jauge ». Dans le cadre de la nouvelle mécanique quantique, cette transformation se traduit par la multiplication des fonctions d'ondes par une « phase » (c’est-à-dire un nombre complexe de module unité). L'ensemble de ces multiplications ayant la structure d'un groupe appelé U(1) par les mathématiciens, on parle d'invariance de jauge U(1), l’invariance étant étroitement liée à la symétrie. L'électrodynamique quantique peut alors se (re-)construire comme la théorie minimale qui soit invariante lors des multiplications des fonctions d'onde des électrons par une phase variable avec le point de l’espace-temps. Le photon, champ médiateur de l’interaction électromagnétique, est le champ de jauge associé à la symétrie U(1).

En 1954, les physiciens américains Chen-Ning Yang (né en 1922) et Robert Mills (1927-1999) généralisent ce point de vue à des groupes plus grands que le groupe U(1), la charge correspondante étant une caractéristique plus abstraite des particules considérées. Pour l’interaction nucléaire faible, Sheldon Glashow (né en 1932), Steven Weinberg (1933-2021) et Abdus Salam (1926-1996) proposent que cette charge soit le caractère (parfois appelé isospin faible) qui distingue le neutrino et l’électron, et que le groupe de jauge, appelé SU(2), soit semblable au groupe des rotations de l'espace ordinaire. Dans une telle description mathématique, unifier électromagnétisme et interaction faible consiste alors à combiner l’invariance de jauge selon la symétrie SU(2) et celle selon U(1), c’est-à-dire écrire une théorie admettant un groupe de symétrie plus large, par exemple le produit SU(2) × U(1). La théorie électrofaible propose ainsi une stratégie d’unification des deux forces, en postulant qu’elles sont issues d’un principe d’invariance commun.

En 1983, la découverte expérimentale des bosons W et Z au Cern de Genève apparaît comme la vérification d’un test crucial de cette construction théorique. Pour expliquer le fait que ces bosons ont – contrairement au photon – une masse non nulle, Robert Brout (1928-2011), François Englert (né en 1932) et Peter Higgs (1929-2024) avaient proposé en 1964 un mécanisme complexe faisant appel au concept de symétrie « spontanément brisée » qui concilie[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : directeur de recherche émérite au CNRS, centre de physique théorique de l'École polytechnique, Palaiseau

Classification

Autres références

  • INTERACTION (physique)

    • Écrit par
    • 1 683 mots

    Dans la nature, les objets sont soumis à toutes sortes de forces qui s'exercent à distance. Ainsi, par exemple, deux masses s'attirent, deux charges électriques s'attirent ou se repoussent suivant leur signe. Les objets ont une action l'un sur l'autre : ils interagissent. La conception classique de...

  • PARTICULES ÉLÉMENTAIRES

    • Écrit par et
    • 8 172 mots
    • 12 médias
    Les interactions entre particules élémentaires, sur lesquelles nous reviendrons plus en détail, correspondent à l'émission d'un champ et à la réaction à ce champ. L'archétype est le champ électrique, créé par la présence d'une particule chargée, qui influence d'autres éléments chargés....
  • DÉTECTEURS DE PARTICULES

    • Écrit par , , , et
    • 10 978 mots
    • 12 médias
    ...mesurer leur flux moyen, leur énergie, leur position spatiale, ou à déterminer leur nature. Les problèmes varient suivant la nature des rayonnements dont l'interaction avec la matière conditionne le choix du type de détecteur. Mais, en règle générale, l'impulsion électrique finale est commandée par l'interaction...
  • AXIONS

    • Écrit par
    • 2 118 mots
    • 2 médias
    ...théorie, la chromodynamique quantique (QCD, pour Quantum ChromoDynamics), construite au début des années 1970 pour rendre compte des manifestations de l’interaction forte liant quarks et gluons comme éléments fondamentaux de la matière nucléaire. Pour suivre le raisonnement des physiciens théoriciens,...
  • BANDES D'ÉNERGIE THÉORIE DES

    • Écrit par
    • 946 mots

    Dans un atome isolé, les électrons se répartissent, en obéissant au principe de Pauli, entre des niveaux d'énergie bien déterminés, pratiquement sans largeur. Quand on rapproche par la pensée N atomes (avec N ∼ 1023) pour construire un solide et qu'on oublie l'interaction entre...

  • Afficher les 37 références