INTERDIT
L'interdit en psychanalyse
Les trois interdits fondamentaux
« Pour fixer les termes, écrit Freud dans L'Avenir d'une illusion, nous appellerons refus le fait qu'une pulsion ne puisse être satisfaite, interdit la disposition qui établit ce refus, et privation l'état qui en découle. » Il faut distinguer, ajoute-t-il, entre les interdits culturellement variables, locaux ou particuliers, qui ne touchent qu'une catégorie sociale, et les interdits fondamentaux, universels, qui coïncident avec les conditions d'existence de la culture elle-même, et qui sont au nombre de trois : ceux de l' inceste, du cannibalisme et du meurtre. Ce triple interdit, depuis l'orée de l'histoire, sépare l'état de culture de l'état animal. Or il forme, à présent encore, le noyau d'une haine jamais éteinte à l'endroit de la culture, haine dont nous voyons les effets de révolte et d'inhibition dans la névrose. Comme si chacun, venant au monde, devait à nouveau payer le prix de son entrée dans la culture, le prix de chair de son droit au langage.
Si l'interdit est la disposition (légale) qui établit le refus de satisfaire une pulsion, que veut dire le fait qu'une pulsion ne puisse être satisfaite ? Ce fait ouvre, en deçà de l'interdit, sur le mouvement vertigineux de la pulsion et sur l'origine, insaisissable parce qu'elle nous précède toujours, de la loi. Si, en effet, l'on prend au sérieux l'affirmation freudienne que toute pulsion est, dans sa racine, pulsion de mort, on devra reconnaître qu'il ne saurait y avoir, pour une pulsion, de satisfaction à proprement parler sans l'appui d'une limite, d'un écart toujours renouvelé au terme où elle tend et où elle s'annulerait. Qu'il y ait donc, au niveau le plus radical, de la pulsion non satisfaite équivaut au maintien d'une réserve qui permet la relance périodique de la pulsion, la conservation de son énergie. C'est là une thèse primordiale chez Freud, dès l'Esquisse d'une psychologie scientifique (1895) jusqu'aux développements d'Au-delà du principe de plaisir (1920). C'est ce fait que symbolise, en l'énonçant, l'interdit. Cela n'est rien dire d'autre que : il y a de la jouissance, de la jouissance qui ne subsiste pour nous que du fait du langage. Ou encore : il y a une loi qui médiatise pour nous tout rapport au réel. Sans quoi nous verrions devant nous, comme il arrive dans la psychose, s'ouvrir les chemins sans traces de la folie : « En ce qui me concerne, écrivait le président Schreber dans les Mémoires d'un névropathe, les bornes culturelles de la jouissance ont perdu leur consistance, elles se sont en un sens transformées en leur contraire » – dans un impératif mortel qui appelle à se sacrifier à la jouissance.
Entre les trois interdits, cependant, existe une dissymétrie essentielle. L'interdit de l'inceste tient, en effet, dans l'économie du sujet, une place structurale. Il décide de sa structure, en liant à un discours les chemins obligés de son désir. L'inceste assigne un lieu à l'interdit, et chacun des deux termes n'est, en fait, que l'envers de l'autre. Aussi est-il vain de chercher quelle est l'origine, du désir ou de la loi, car les deux naissent ensemble, et l'interdit est ce qui les noue dans la parole en les disjoignant. La loi, quel que soit le système de ses énoncés, dit au sujet : c'est là qu'il y a de l'interdit, sans quoi tu serais fou, tu ne pourrais pas parler. Elle marque la borne autour de laquelle tourne désormais la course de son désir, elle l'engage dans une bifurcation qui, dans le meilleur des cas, fait la relance périodique de sa jouissance. Non seulement donc, par son jeu d'interdits, le système de parenté introduit le sujet aux signifiants majeurs qui règlent les générations, qui tracent les lignes de[...]
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Écrit par
- Claude RABANT : philosophe, psychanalyste, ancien élève de l'École normale supérieure
- Pierre SMITH : chargé de recherche au C.N.R.S.
Classification
Média
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...(1897-1962) formule à ce propos dans son ouvrage L’Érotisme (1957) un argument difficilement contestable : « La transgression organisée forme avec l’interdit un ensemble qui définit la vie sociale. La fréquence – et la régularité – des transgressions n’infirme pas elle-même la fermeté intangible de...