INTÉRÊT, sciences humaines et sociales
Apport critique de la psychose
Portée par le commentaire du cas Schreber au cœur de la réflexion freudienne, l'analyse de la psychose a renouvelé l'analyse de l'intérêt, en la situant dans une perspective nouvelle, qui est celle de l'analyse du moi. Renouvellement profond dans la mesure où il affecte plusieurs aspects de l'intérêt – que laisserait dans l'ombre le legs de l'analyse de la névrose. Le problème est de comprendre dans leur solidarité les deux aspects de l'expérience psychotique de Schreber : la perte du contact avec la réalité, le délire des grandeurs. Au regard de Freud, ces deux aspects traduisent un même processus, le développement régressif de la libido, de l'objet au moi. Et une nouvelle version de l'intérêt est ainsi suggérée. Dans la paranoïa, la libido libérée se fixe sur le moi ; elle est employée à l'amplification du moi. Ainsi y a-t-il retour au stade du narcissisme qui nous est déjà connu comme étant l'un des stades de l'évolution de la libido dans lequel le moi du sujet était l'unique objet sexuel. C'est en vertu de ce témoignage fourni par la clinique que nous l'admettons : les paranoïaques possèdent une fixation au stade du narcissisme. À cet élargissement de la notion de libido répond donc un élargissement de la notion de l'intérêt : « On ne saurait prétendre que le paranoïaque, même lorsqu'il atteint au comble du refoulement, se désintéresse intégralement du monde extérieur, comme c'est le cas dans certaines formes de psychose hallucinatoire (Amentia de Meynert). Il perçoit le monde extérieur ; il se rend compte des changements qu'il y voit se produire ; les impressions qu'il en reçoit l'incitent à édifier des théories explicatives [“les ombres d'hommes bouclées à la six-quatre-deux” de Schreber]. C'est pourquoi je considère comme infiniment plus probable d'expliquer la relation modifiée du paranoïaque avec le monde extérieur uniquement ou principalement par la perte de l'intérêt libidinal. » Ainsi Freud formulait-il ce qui sera, dans les années qui suivent, le thème essentiel de sa polémique avec Carl Gustav Jung. La même année que l'étude du cas Schreber paraissait, en effet, la première partie des Métamorphoses et symboles de la libido, dont l'auteur résumait l'esprit l'année suivante dans son Exposé de la théorie psychanalytique en posant le principe d'une notion généralisée de la libido, énergie non sexuelle comparable à l'élan vital de Bergson, et que Jung, sur une suggestion de Claparède, assimile à l'intérêt. Sans doute Freud récusera-t-il cette vue. L'impulsion reçue de la critique jungienne n'en commandera pas moins un tournant essentiel de sa réflexion, dont témoignent, à la date même où la crise atteint son paroxysme, les considérations épistémologiques très générales des textes intitulés « Les Pulsions et leur destin » et « Pour introduire le narcissisme ».
Tout se passe, en effet, comme si, en niant le caractère sexuel de la libido qui se retire du monde, Jung avait incité Freud à analyser sa propre notion – léguée par l'analyse du petit Hans et, plus généralement, par les névroses de transfert – d'un intérêt à visée sexuelle. Considérée globalement, cette démarche de décomposition conduit à imputer l'intérêt au moi, ainsi que le souligne une note à l'analyse de Schreber : lors de la catastrophe interne, disait le texte, « l'univers subjectif du malade a pris fin depuis qu'il lui a retiré son amour ». « Peut-être non seulement l' investissement libidinal, précise la note, mais encore l'intérêt lui-même, c'est-à-dire les investissements émanés du moi... » Avancée décisive sur l'analyse de Hans, laquelle se bornait à indiquer que l'intérêt de l'enfant se développait « du moment où il commençait[...]
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Écrit par
- Pierre KAUFMANN : professeur honoraire de philosophie à l'université de Paris-X-Nanterre
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Média
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