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INTÉRÊT, sciences humaines et sociales

Psychanalyse et philosophie

Une chose, remarquons-le, est la genèse d'une philosophie de l'intérêt, à laquelle il appartiendra de décider par elle-même si elle est d'ordre structural ou transcendantal, autre chose la restitution historique de son avènement. De ce dernier point de vue, la philosophie de l'intérêt prend origine de la révision critique à laquelle Kant a soumis le courant utilitaire développé au cours du xviiie siècle en vue de la réconciliation entre l'intérêt « égoïste » et l'intérêt « désintéressé ». Les termes du problème sont maintenus. Mais l'élaboration kantienne a pour originalité d'en inverser la relation, sur le fondement d'une universalité au sujet de laquelle il s'agit de savoir comment et à quel titre l'intérêt du moi s'y ordonne. Le problème est ouvert par la Critique de la raison pure, dans la troisième section de l'« Antinomie de la raison pure » – « De l'intérêt de la raison dans ce conflit avec elle-même » ; et l'on sait que Kant y envisage, du côté du dogmatisme : un certain « intérêt pratique » auquel « prend part de bon cœur tout homme sensé qui comprend son véritable avantage » ; un « intérêt spéculatif », pour autant que la thèse a l'avantage de nous permettre « d'embrasser a priori la chaîne entière des conditions » ; en troisième lieu, « l'avantage de la popularité ». Les mêmes critères se trouvent appliqués du point de vue de l'empirisme. Aucune de ces indications, cependant, ne permet d'anticiper sur la portée des commentaires que consacrent à l'intérêt les Fondements de la métaphysique des mœurs ou la Critique de la raison pratique, sur le versant éthique, et la Critique du jugement, sur le versant esthétique.

Dans le premier de ces registres, est posé d'abord un concept général de l'intérêt. Par distinction de l'inclination (Neigung), l'intérêt traduit la dépendance d'une volonté « qui peut être anticipée par rapport aux principes de la raison ». Ensuite intervient une dichotomie, l'intérêt « pratique » consistant à « prendre intérêt » à une action, l'intérêt « pathologique » à « avoir intérêt » à une chose. Ainsi est rendue possible la conjugaison de l'intérêt avec l'exigence morale : « Dans une action accomplie par devoir, on doit considérer non pas l'intérêt qui s'attache à l'objet, mais celui qui s'attache à l'action même et à son principe rationnel, la loi. » S'agissant du registre esthétique, le problème se pose initialement dans les mêmes termes : on nomme « intérêt », d'après la Critique du jugement, la satisfaction que nous lions avec la représentation de l'existence d'un objet. Nous ne disposons pas, semble-t-il, en l'occurrence, d'une alternative équivalente à l'« activité » du domaine pratique – en son opposition à l'objet. Kant pallie donc la difficulté en faisant appel du désintéressement du jugement de beauté à l'intérêt de la raison dans le sublime.

Ainsi se dégagera le principe heuristique d'une correspondance entre la position psychanalytique et la position transcendantale du problème de l'intérêt. À l'opposé de la représentation psychologique de la relation du besoin à l'environnement, la psychanalyse fonde l'intérêt sur le désinvestissement de la pulsion par le travail de la pulsion de mort. Nous avons remarqué, en outre, que cette désexualisation manifeste la mise hors circuit de l'objet. L'expansivité de la raison et l'exclusion de la référence à l'objet occupent, dans la philosophie transcendantale, des positions analogues.

La construction du concept d'intérêt aurait alors à se dérouler dans un ordre[...]

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Écrit par

  • : professeur honoraire de philosophie à l'université de Paris-X-Nanterre

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Découverte de soi - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

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