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INTÉRIORITÉ

À l'ombre du christianisme

De saint Augustin à Descartes et à Kant

Le christianisme, qui n'est pas une philosophie, mais n'a jamais cessé d'exercer sur les philosophies toutes les sortes d'influences – fascinatrices ou répulsives –, a permis une reprise créatrice des philosophies de l'intériorité. Non pas qu'il ait apporté au problème une solution apaisante par recours au dogmatisme théologique et à l'expérience religieuse ; il a plutôt dramatiquement durci cette antinomie de l'intériorité et de la subjectivité devant laquelle reculait, après l'avoir soupçonnée, la pensée antique. Car, s'il valorise et approfondit l'intériorité, le christianisme met durement en question la subjectivité. La conversion requise par l'Évangile est celle du cœur, laquelle suppose une rencontre mystérieuse de la grâce et de la liberté, et que ne sauraient procurer ni la magie du rite, ni l'observance scrupuleuse de la loi. L'événement dont dépend le salut relève donc d'une intériorité, et si secrète que, disent les théologiens, le regard même des anges ne saurait la pénétrer. L'homme a donc au-dedans de lui sa plus profonde vérité, celle qui le fait par rapport à l'absolu digne d'amour et de haine. Exaltation de l'intériorité, mais, par ailleurs, contestation de la subjectivité : la parole de Dieu génératrice d'une Église ou l'Église gardienne de la parole ont une autorité contre laquelle ne peut prévaloir aucun arbitraire subjectif. Le salut, au surplus, ne conserve pas seulement un homme intérieur dont la spiritualité serait invulnérable au mal et à la mort, mais un homme total, extériorité et intériorité, auquel est annoncée et promise la résurrection de la chair. Enfin, si Dieu, dans et par le Christ, est le seul juge et l'ultime recours, même notre vérité intérieure se dérobe à l'appréhension subjective et semble résider moins en nous qu'au-delà de nous, sans compter qu'une religion du corps mystique – audacieuse et significative alliance de mots – ne semble pas faire fond sur la seule subjectivité personnelle pour assurer à l'humanité et peut-être même à Dieu les ultimes accomplissements.

À l'ombre du christianisme, l'intériorité est donc plus que jamais un problème, et pour toutes les philosophies, de saint Augustin à Descartes et à Kant. À travers les plus riches variétés de culture, de style et de doctrine, se poursuivra la permanence d'un même propos : conquérir la vérité sur un subjectivisme sceptique par une réflexion critique sur l'intériorité. Il y a certes différences et distances de toutes sortes entre le « Si je me trompe, je suis » de saint Augustin, le « Je pense, donc je suis » de Descartes, la subjectivité transcendantale ou l'impératif catégorique de Kant. Mais, chez tous ces grands témoins de la philosophie classique, se trouve au point de départ une réitération recréatrice du « Connais-toi » socratique et de la réminiscence platonicienne ; le raccourci de Pascal : « Nous avons une idée de la vérité, invincible à tout le pyrrhonisme » (et par conséquent à toute sophistique) est un condensé de l'augustinisme philosophique et il est en même temps étonnament platonicien. Car cette idée de la vérité, dont nous connaissons les caractères avant d'être assurés de n'importe quelle vérité déterminée, se trouve inscrite comme exigence préalable à tout acte de pensée dans l'intériorité humaine ; immanente à la conscience, elle permet au jugement de faire le partage entre une subjectivité fluente, confuse, incertaine comme tout ce qui est seulement psychique, et la claire et immuable rigueur d'une norme ; et parce qu'elle est, dans son intériorité, illuminée par cette idée de vérité, la conscience humaine[...]

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Écrit par

  • : inspecteur général honoraire de l'Éducation nationale

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