INTÉRIORITÉ
L'intériorité soupçonnée et la subjectivité désavouée
Au commencement, Hegel
La crise de l'intériorité, trait capital de la pensée contemporaine, a des causes multiples : contestations, redoublées à partir du xviiie siècle, d'une conception chrétienne de l'homme et doute notamment sur la possibilité d'un passage à la transcendance à partir d'une intériorité et d'une subjectivité personnelles ; mouvements révolutionnaires qui invitent à considérer les destinées individuelles comme maigres et courtes par rapport aux grands destins collectifs et à chercher du côté du peuple ou de la nation, de la classe ou de l'humanité, les sujets substantiels d'une histoire qui va se dramatisant ; poussées, en contrecoup des effervescences communautaires et non sans rapport avec l'essor des sciences biologiques, d'une idéologie romantique qui croit avoir trouvé dans l'inépuisable vie, dont le sujet individuel humain n'est qu'un épisode superficiel et éphémère, la source originelle de toutes les productions de la nature et de toutes les créations de l'histoire. L'intériorité ne peut manquer alors d'apparaître comme une illusion et un alibi ; à la subjectivité de la conscience personnelle se trouvera substituée une autre sorte de subjectivité – élan vital ou génie de l'histoire – que les philosophies de l'intériorité classique tenaient pour une figure mythique. Ainsi, à la faveur d'une poétique de la nature et de l'histoire, se trouve ressuscité le Grand Pan, fatal pour l'intériorité.
De cette résurrection, Hegel est, dans l'ordre philosophique, le témoin, l'acteur, l'auteur. Avec lui commence une certaine façon de philosopher contre l'intériorité qui a fait de nombreux disciples, mais dont aucun n'a égalé le génie et la passion de l'initiateur et dont les effets sont loin d'être épuisés. L'idée si commune aujourd'hui que l'esprit, le sujet ou le « pour soi » excèdent tout donné par leur puissance de négativité mais qu'ils n'accèdent à la vérité et à la réalité que dans l'univers objectif et structuré des comportements et des langages, a été pour la première fois formulée par Hegel, mais dans une perspective où il entre plus de métaphysique que de positivité : se trouve posée la rationalité du tout qui, une fois constitué dans le plus finalisé des devenirs, est l'absolu et le concret, le sujet et la substance ; l'intériorité du sujet individuel, inessentielle et abstraite, n'a de sens que située et expliquée dans une odyssée de l'esprit qui l'enveloppe et dont elle vérifie à sa place les lois de genèse dialectique, lois qui valent pour l'absolu d'abord, pour l'homme ensuite. La transcendance pour Dieu, l'intériorité pour l'homme sont un seul et même néant, dont ils doivent dialectiquement sortir pour s'aliéner dans leurs contraires, la nature et l'histoire pour Dieu, ses discours et ses œuvres pour l'homme. Et, de même que le secret de Dieu, asile des irrationalismes mystiques, est révélé, tout mystère aboli dans l'histoire du monde, l'insondable secret de la conscience, mirage de fausse profondeur et commode recours du spiritualisme chrétien, passe tout entier en dehors d'elle dans les significations articulées qu'elle se donne. Le thème – ses origines métaphysiques refoulées mais décryptables – est devenu, conforté de linguistique et d'anthropologie culturelle, un des lieux communs de la pensée contemporaine.
Du positivisme à la pensée contemporaine
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Écrit par
- Étienne BORNE : inspecteur général honoraire de l'Éducation nationale
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