INTERPRÉTATION MUSICALE
Limites de l'interprétation
Si l'interprète est devenu une figure essentielle de l'acte musical, son intervention n'en connaît pas moins des limites qui pourraient constituer un code de déontologie de la profession, sur le plan matériel comme dans les domaines intellectuel et spirituel.
L'interprète traduit la partition. Il lui donne un visage à un moment donné. Mais ses possibilités techniques ont des limites qui doivent lui interdire l'accès à certaines œuvres qu'il ne pourrait servir honnêtement. À cet égard, une distinction s'impose entre les œuvres qui n'ont encore jamais été parfaitement maîtrisées et celles que certains interprètes dominent totalement. Dans le premier cas, mieux vaut une approche imparfaite que le silence ou l'oubli, mais, dans le second cas, l'humilité doit s'imposer, sans exclure un travail à huis clos. Les limites techniques de l'interprète sont étroitement liées à ses limites physiques : taille des mains pour les pianistes, souffle pour les instrumentistes à vent, ouïe pour tous les musiciens, sans oublier les chanteurs, dont l'instrument est précisément leur propre corps.
La connaissance musicologique est devenue indispensable, surtout pour la musique ancienne : Thurston Dart, Raymond Leppard, Nikolaus Harnoncourt, Gustav Leonhardt, Philippe Herreweghe, les frères Barthold, Wieland et Sigiswald Kuijken, William Christie et René Jacobs font partie de ces interprètes-musicologues qui ont sorti la musicologie de son strict cadre théorique pour lui donner une application pratique. Dans des répertoires plus proches de nous, Alfred Brendel, Paul Badura-Skoda, Claudio Abbado, Riccardo Muti – pour ne citer qu'eux – ont donné des exemples de retour aux textes originaux et de réflexion personnelle qui ont bouleversé des années de tradition immuable. Les difficultés d'ordre musicologique que doit résoudre l'interprète touchent parfois à la facture instrumentale, qu'il ne peut ignorer.
Après une période de purisme excessif, durant laquelle avaient été relégués dans les oubliettes les transcriptions et arrangements qui avaient fait la gloire de nombreux interprètes, ceux-ci connaissent un regain de faveur et sont davantage considérés comme des témoignages d'une certaine vision du passé que comme des faire-valoir. La transcription a toujours attiré les compositeurs, depuis Bach (transcrivant Vivaldi) jusqu'à Ravel (orchestrant les Tableaux d'une exposition de Moussorgski). L'interprète est souvent à l'origine de tels arrangements, quand il n'en est pas l'auteur lui-même pour enrichir un répertoire trop maigre (guitare, harpe...).
L'interprète fait-il acte de création en exécutant une partition ? L'usage veut que l'on parle de recréation pour ménager les susceptibilités. Mais ne faudrait-il pas insister surtout sur l'humilité qui doit présider à la démarche de l'interprète ? Recréer signifie redonner vie, ce qui implique que la partition serait morte avant l'intervention de l'interprète. Or le texte existe, il est immuable et il vit sur le papier pour qui sait le lire. L'interprète joue donc un rôle plus modeste, mais bien qu'il ne soit pas générateur, il reste cependant essentiel : il met son talent, son tempérament, ses possibilités techniques au service d'une œuvre d'art qu'il peut soit transfigurer soit défigurer.
L'évolution de l'interprétation de la musique baroque depuis le milieu des années 1970 constitue un exemple flagrant de l'amplitude qui existe en matière d'interprétation, amplitude qui est encore accentuée par l'imprécision de certains manuscrits ou par l'importance d'usages non écrits qui ne nous sont parvenus que partiellement. Si la première génération d'interprètes « baroqueux »[...]
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Écrit par
- Alain PÂRIS : chef d'orchestre, musicologue, producteur à Radio-France
- Jacqueline PILON : musicologue
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