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INTERPRÉTATION MUSICALE

Interprétation de la musique ancienne

Reconstitution et recréation

« Comprendre les intentions du compositeur signifie les transmettre selon la compréhension qu'on en a [...]. Les exécutions les plus impressionnantes d'une œuvre ne sont pas toujours celles qui sont les plus „justes“ historiquement... Il faut jouer de la façon la plus sublime, la plus visionnaire, émouvante, mystérieuse, recueillie, humoristique, gracieuse possible – mais cette exigence morale soulève la question suivante : qu'est-ce que notre époque considère comme sublime, qu'est-ce qui la touche et la trouble ? On en arrive au paradoxe suivant : une interprétation intemporelle, qui semble avoir rompu tous liens avec l'histoire, est seulement possible quand on est au diapason de son époque. Libérer, parmi les multiples énergies qui font un chef-d'œuvre, celles qui aujourd'hui nous touchent de la manière la plus noble et la plus essentielle – voilà la tâche qui hausse l'interprète du texte original au-dessus d'un conservateur de musée. » L'auteur de ces propos, un des interprètes les plus prestigieux – et incontestables – de notre temps, Alfred Brendel, milite donc expressément pour une actualisation résolue du geste de l'interprète : c'est en obéissant à la sensibilité d'aujourd'hui qu'il aura le plus de chances de témoigner en faveur de celle d'hier.

Seulement, le même Brendel a dû s'interroger – et répondre – sur ces « reconstitutions où les interprètes essaient de reproduire exactement le style et la sonorité qu'avait la musique à l'époque où elle fut composée ». À la question de son interlocuteur Jeremy Siepmann : « Nous pouvons peut-être reconstituer la sonorité, mais est-il possible de recréer l'événement musical ? Est-ce même la peine d'essayer ? », notre pianiste acquiesce : « Je trouve que oui. [...] Le timbre de nombreux instruments originaux et le comportement qu'ils réclament de l'interprète peuvent être d'une grande importance. Prenons par exemple Monteverdi, après les arrangements de Hindemith, Malipiero ou d'un autre. Cette musique ne prend vie pour moi qu'avec les instruments de l'époque – même si nous ne savons pas exactement comment ils étaient utilisés. On écoute Monteverdi d'une oreille tout à fait différente. En ce qui concerne la musique pour piano... ». « Oui, qu'en est-il des concertos de Mozart ? Dans quelle mesure essayez-vous de conformer le son du piano actuel à l'idéal du son mozartien ? » ajoute Siepmann. « Je réfléchis à l'ensemble de l'œuvre et à tous les instruments en présence, répond Brendel. Comme mes partenaires de l'orchestre n'utilisent pas d'instruments anciens, il serait insensé de ma part de m'accrocher au volume sonore du pianoforte de Mozart ; personnellement, ce qui m'importe davantage, c'est d'exploiter les possibilités du piano moderne en les élargissant au maximum. »

Le débat reste donc ouvert. Faut-il se fier à son intuition du jour, ou à l'humeur de son temps, et jouer les maîtres du passé comme s'ils vivaient (ou revivaient) aujourd'hui ? N'y a-t-il pas lieu au contraire, toute érudition bue, de recréer et de reconstituer ce qui jadis prévalut ? La seconde hypothèse requiert une capacité de jongler avec l'histoire et d'acclimater la tradition qui, pour acrobatique qu'elle paraisse, n'en est pas moins la condition sine qua non d'une conservation authentique de ce qui fut – ne serait-ce qu'au sens des conservatoires. On comprend l'hésitation d'un Alfred Brendel.

La perspective historiciste

À l'appui de la thèse selon laquelle le problème de l'interprétation n'est nullement esthétique, mais bel et bien pratique, il faut citer[...]

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