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INTERPRÉTATION (notions de base)

Langage et interprétation

La civilisation gréco-latine a particulièrement mis l’accent sur ce qui lie langage et interprétation, montrant que dès que la parole est présente l’interprétation l’est aussi. Le latin interpretes désigne le médiateur, celui qui joue le rôle d’intermédiaire entre deux parties, et par extension le traducteur grâce auquel deux personnes parlant des langues différentes peuvent communiquer.

Le latin interpretatio a traduit le grec hermênéia, qui a donné « herméneutique » en français. Hermênéiaviendrait d’Hermès, le dieu des marchands et des voleurs, qui sert de médiateur entre les hommes et les dieux. La parole, nous dit Aristote, est phonèsémantikè, « son doué de sens ». Seules les langues univoques, telles que le langage mathématique, ne relèvent pas de l’interprétation : on n’interprète pas (a b)2 = a2 + 2 ab + b2, formule parfaitement univoque, qui ne peut avoir qu’un seul sens pour quiconque a une connaissance de l’algèbre. En revanche, dès qu’il y a plurivocité, on entre dans une pluralité de sens entre lesquels il faut choisir. C’est la technique de sélection de l’un (ou de quelques-uns) de ces sens que l’on nomme « herméneutique ».

Dans son ouvrage De l’interprétation (1965), Paul Ricoeur (1913-2005) établit un lien très étroit entre signification et interprétation : « Est interprétation, remarque-t-il, tout son émis par la voix et doté de signification – toute phonèsémantikè, toute vox significativa [...] Nous disons le réel en le signifiant ; en ce sens nous l’interprétons [...] Dire quelque chose de quelque chose c’est, au sens complet et fort du terme, interpréter. » En affirmant que dire c’est interpréter, Paul Ricoeur situe le commencement de l’interprétation au tout début de l’activité langagière. On ne peut pas ne pas interpréter. Les théoriciens de la communication de l’École de Palo Alto en Californie, dans les années 1950-1960, iront dans la même direction en affirmant qu’« on ne peut pas ne pas communiquer ». Si, par exemple, assis à ma place dans un avion qui s’apprête à décoller, je me plonge dans la lecture du journal, je n’émets aucun message explicite en direction de mon voisin, qui pourtant comprendra aisément la signification de mon attitude : je n’ai aucune envie de bavarder avec lui.

Mais n’y a-t-il pas cependant comme un cercle vicieux de l’interprétation ? Pour comprendre la partie d’un ensemble de signes, il faudrait avoir compris le tout mais, pour comprendre le tout, il faudrait avoir compris chacune des parties. Toute interprétation supposerait donc une précompréhension. C’est ce que remarquait Friedrich Schleiermacher (1768-1834), philosophe de la période romantique qui fut l’un des premiers à avoir mis l’interprétation au cœur de ses réflexions : « Toute compréhension de la partie est conditionnée par une compréhension du tout » (Herméneutique, posthume, 1838). Ce cercle herméneutique est-il une faiblesse insurmontable de l’interprétation, ou en constitue-t-il paradoxalement la richesse ?

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Écrit par

  • : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires

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