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INTIMITÉ

Relation à deux et présence du tiers

Cette fragilité de l'intimité révèle en fait son essence. Idéalement, elle est le fait de deux individus, même si ce chiffre est susceptible d'extension puisqu'il est légitime d'évoquer l'intimité de la vie familiale. Il reste, selon le propos de Simmel, que la vie quotidienne montre combien le nombre circonscrit à deux individus confère un sort spécifique à certaines relations : « un sort commun, une entreprise, un accord, un secret partagé à deux lient chacun des participants bien autrement que s'ils ne sont même que trois ». Nous retrouvons ici l'accord impromptu entre la sociologie dite de « terrain » et la sociologie formelle ou théorique. Le même Simmel dans un premier temps insiste sur les implications du chiffre deux dans une relation et, à partir de là, aborde le phénomène de l'intimité. Il en tire une première conclusion explicite qui demeure implicite dans les enquêtes de terrain – comme celles menées par Jean-Claude Kaufmann. Quel est le facteur commun à ces deux approches ? C'est la présence indésirable du tiers. Pour Simmel, et nombre de ceux qui s'inspirent de sa démarche, la spécificité sociologique de l'intimité consiste dans le fait de ne pas constituer une unité supérieure à ses éléments individuels, dans le fait de proscrire la présence du tiers. Des phénomènes institutionnels comme le mariage ou le Pacs interviennent pour consacrer ce caractère sociologique fondamental des relations à deux : l'absence d'unité supra-individuelle, c'est-à-dire l'absence de tiers. Les relations de voisinage, par la proximité physique qu'elles induisent, se présentent comme une menace pour l'intimité. Par son intrusion possible dans un espace qu'il investit parfois sans résistance et parfois sans arrière-pensées, le voisin se fait témoin et cette apparente neutralité peut tourner vite à l'évaluation et à l'imposition de normes difficilement acceptées : les deux dérivations de cette attitude sont également rejetées au nom de l'intimité ; comme le remarque Kaufmann, « si l'on épie le voisin, ce n'est plus, comme dans la société holiste, pour l'aider et l'obliger à reprendre le bon chemin, mais c'est pour guetter la faute ».

Le tiers est la figure d'une asymétrie hétérogène au genre de l'intimité, relation qui repose immédiatement sur chacun des deux membres qui la constituent. Cette absence de médiation confère une coloration tragique à ce lien que peut briser la séparation ou, plus radicalement, la mort. Dans une socialisation à trois ou plus, le groupe peut survivre au départ d'un individu. Nombreuses sont les associations, dont les plus académiques, qui caractérisent leurs membres comme immortels collectivement, associations où l'individu semble lui-même d'autant moins exposé que son individualité n'est qu'un paramètre dont la disparition n'affecte pas le groupe dans sa pérennité. Une présence perçue comme tiers peut être le fait de l'enfant qui naît dans un couple et qui, selon les circonstances, lie ou sépare les parents, les deux aspects alimentant une vaste recherche. Une institution comme le mariage ou plus récemment le Pacs – qui cautionne l'intimité – joue paradoxalement à l'égard de celle-ci un rôle ambigu dans ses effets. Alors que l'intimité n'a de sens que tournée vers l'intériorité, sa reconnaissance sociale l'expose justement à cette investigation, cette reconnaissance du tiers comme instance légitime dans un domaine qui pourtant n'accepte qu'avec réticence cette intrusion. La relation intime amicale a pour qualité d'être libéralement consentie sans qu'une dimension juridique vienne lui assigner des contraintes dont elle n'a que faire.[...]

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