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INTIMITÉ

La chaleur du foyer et l'imaginaire de la sécurité

À l'intérieur même de la relation intime, en supposant que les « démons » extérieurs soient domptés, les difficultés proviennent du dedans, qu'il s'agisse de l'espace dans lequel elle se déploie ou du temps qui en mesure la constance. François de Singly, s'inspirant pour partie de Simmel et de son étude sur le pont et la porte, met l'accent sur la porte, qui ouvre, qui ferme et qui s'entrouvre. Cette porte, qui officie comme garant de l'intimité, focalise un certain nombre de problèmes. L'intimité conjugale ne va pas de soi au quotidien. Il ne suffit pas que, de façon sporadique, l'un des deux membres ou les deux réaffirment passionnément l'exclusivité et la chaleur de la relation pour que cette incandescence survive à la proclamation de l'intimité ; celle-ci doit être constamment réactivée pour exister. Ainsi, le passage du monde public à l'espace privé doit être ponctué, même de façon minimale, par des signes attestant que le ou la partenaire, une fois franchie la porte du foyer, pénètre dans une aire où des occupations à finalité publique, extérieure, sont licites, mais où cette ouverture au monde doit être précédée d'une caution qui légitime l'intimité liant les partenaires. Ces attentions, spontanées ou savamment orchestrées, étalonnent l'intimité, la font valoir dans l'espace et la renouvellent, la revivifient auprès du partenaire attentif à constater le seuil délimité même de façon symbolique entre espaces public et privé.

Si l'on interroge les structures anthropologiques de l'imaginaire en empruntant la voie ouverte par Gilbert Durand, on observe que l'intimité caractérise, selon ce domaine de recherche, le « régime nocturne de l'image », opposé au régime diurne, qui se satisfait de la figure de l'antithèse, de tout ce qui sépare et distingue. L'intimité irait avec l'antiphrase, avec la coïncidence des contraires, leur harmonie ; « sa vocation de lier, d'atténuer les différences, de subtiliser le négatif par la négation même est constitutive de cet euphémisme poussé à l'extrême que l'on nomme antiphrase ». Si la mort, comme rupture, sonne la fin de la relation intime, il reste à observer comment l'antiphrase, typique de ce lien si particulier, apprivoise la mort pour en faire une dimension de l'intimité ; cela va du rituel mortuaire jusqu'aux modalités de l'espace intime. Pour Gilbert Durand, c'est « dans la tombe que joue l'inversion euphémisante : le rituel mortuaire est antiphrase de la mort », il s'agit de « suggérer la sécurité d'un être enfermé, d'un être douillettement caché et emmailloté ». Le même auteur cite à ce sujet Edgar Poe qui, renforçant de trois cercueils la protection de la momie déjà enlacée de bandelettes, retrouve l'intuition rituelle des anciens Égyptiens, lesquels multipliaient les gages de l'intimité de la dépouille par l'usage de linceuls, de bandelettes, bref, de toutes ces enveloppes, étuis, housses, dont un auteur bien différent, Walter Benjamin, familier lui aussi de Poe, fait le décor privilégié de l'intimité bourgeoise.

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