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INTIMITÉ

L'intimité comme dispositif compensatoire

Le cocooning a réactualisé dans sa quête de l'intimité les signes décoratifs synonymes de protection. Benjamin a le premier été sensible aux effets de redondance, de multiplication valant comme autant de précautions qui constituent le registre matériel de l'intimité. Si l'on osait un rapprochement impromptu entre les analyses de Durand et celles de Benjamin, on verrait se dessiner un lien subtil entre la manie du détail, la méticulosité, la minutie propre au type psychologique du « régime nocturne » de l'individu attiré par l'intimité et le bourgeois contemporain de Louis-Philippe qui, semble-t-il, pour cet aspect, a su marquer durablement ses héritiers. L'intimité aurait fait l'objet d'un investissement profond dès le premier tiers du xixe siècle, à l'époque du développement des grandes villes, espaces publics peu propices à l'épanouissement de cette fleur discrète. L'heure sonne de la préoccupation accordée à l'intérieur, sommé de nous dédommager de l'absence de trace de la vie privée dans les métropoles. Pour Walter Benjamin, dont le texte date de 1939, l'individu cherche cette compensation des heurts de la vie urbaine, peu soucieuse d'intimité, entre les murs de son appartement qui duplique comme un cocon les protections les plus diverses imposées aux objets mais dont le spectacle vaut, pour celui qui les multiplie, comme autant de vecteurs d'une intimité à édifier constamment. Ainsi, l'habitant des villes de retour chez lui, sans se lasser « prend l'empreinte d'une foule d'objets ; pour ses pantoufles et ses montres, ses couverts et ses parapluies, il imagine des housses et des étuis. Il a une préférence pour le velours et la peluche qui conservent l'empreinte de tout contact ».

Aujourd'hui, l'intimité semble se chercher sans cesse entre au moins deux écueils possibles. Soit la futilité d'un décor surinvesti affectivement qui peut, de cocon comme on le rêve, devenir coquille vide, citadelle ouatée servant de défense contre un extérieur perçu comme hostile ; c'est là le risque d'un subjectivisme exclusif vivant l'intimité sur le mode du repli et de l'enfermement. Soit l'excès inverse, « la relation pure » de Giddens (critiquée par François de Singly et Karine Chaland) qui refuse l'attachement compulsif et la fusion qui s'ensuit, au bénéfice d'un amour « confluent » et « lucide », celui d'une société du risque qui impose à l'intimité des conditions difficilement tenables tant fidélité et confiance, matrices de la relation intime, supportent mal des écarts perçus comme autant de trahisons.

— Lilyane DEROCHE-GURCEL

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