INTOLÉRANCE
À ceux qui s'abuseraient sur les vertus iréniques de la tolérance, Mirabeau adresse une opportune mise en garde, lorsqu'il déclare en 1789 : « Je ne viens pas prêcher la tolérance. La liberté la plus illimitée de la religion est à mes yeux un droit si sacré que le mot tolérance qui voudrait l'exprimer me paraît en quelque sorte tyrannique lui-même, puisque l'existence de l'autorité, qui a le pouvoir de tolérer, attente à la liberté de penser par cela même qu'elle tolère, et qu'ainsi elle pourrait ne pas tolérer. »
A-t-il jamais existé d'autre tolérance que dans l'essoufflement d'un pouvoir, dont l'exigence fondamentale est de ne rien autoriser qui, échappant à son contrôle, risque de se dresser contre lui ? Sans doute ne paraît-il pas excessif de soutenir qu'il y a intolérance partout où il y a État et religion, quels que soient les accommodements que l'une ou l'autre époque ménage avec les interdits du temple et du palais.
L'Empire romain, tolérant en matière de religions, n'admettait rien qui pût menacer l'autorité de l'État. Dans la Grèce ancienne, un décret condamne, à partir de 433-432 avant J.-C., ceux qui ne reconnaissent pas l'existence des dieux. L'athéisme est exclu des libertés de la Cité et Diagoras de Mélos, convaincu d'agnosticisme, n'échappe à la mort qu'en prenant la fuite. Le judaïsme fait montre d'une intolérance dogmatique, dont le christianisme héritera. « Si Spinoza ne mourut pas de mort violente, écrit Wolfmann, ce fut uniquement parce que les rabbins du xviie siècle avaient moins de pouvoir politique que les Torquemada. »
La rigueur dogmatique des monothéismes, généralement solidaires d'un certain centralisme étatique, n'a jamais toléré les écarts en fait d'interprétations. Plus que l'islam, peu sévère envers les dissidents pour autant qu'ils ne contestent ni Allah ni son Prophète, le christianisme a marqué du sceau sanglant de son intransigeance le cours de son histoire. Son accession, sous Théodose, au statut de religion d'État met fin à la politique des premiers temps : tolérance pour les personnes, intolérance pour les idées. À l'encontre des donatistes, enclins à la mansuétude envers qui « ne possède pas la vérité », saint Augustin estime que, « pour redresser un bâton, il faut l'approcher du feu ». En une autre circonstance, il déclare : « Ne te laisse pas émouvoir par les supplices et les châtiments infligés aux malfaiteurs, aux sacrilèges, aux ennemis de la paix, aux adversaires de la vérité. Ce n'est pas, en effet, pour la vérité que meurent ces sectaires ; ils meurent plutôt pour empêcher qu'on annonce la vérité, qu'on prêche la vérité, qu'on s'attache à la vérité (Sermon CCCXXV, 2). Sur de telles affirmations pourront s'appuyer discours inquisitorial et ce que Karlheinz Deschner appelle « l'histoire criminelle du christianisme ».
Saint Thomas d'Aquin n'écrit-il pas : « L'hérésie est un péché pour lequel on mérite non seulement d'être séparé de l'Église par l'excommunication mais encore d'être exclu du monde par la mort » ? Alors qu'il avait précisé dans la première édition de L'Institution chrétienne qu'« il est criminel de tuer les hérétiques », Calvin supprime cette phrase dans la réédition et livre Michel Servet au bûcher. Devenu religion d'État, le luthéranisme persécute les dissidents. En 1524, l'humaniste Érasme approuve encore la mise à mort des hérétiques ; Thomas More pense de même. Il n'est pas jusqu'aux anabaptistes qui n'entreprennent d'exécuter les opposants dès l'instant qu'ils se sont rendus maîtres de Münster. C'est avec l'approbation de Bourdaloue que la confrérie du Saint-Sacrement harcèle Molière et[...]
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Écrit par
- Raoul VANEIGEM : écrivain
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