INTRODUCTION À LA PHILOSOPHIE DES SCIENCES (H.-J. Rheinberger) Fiche de lecture
Directeur de l’Institut Max Planck d’histoire des sciences de Berlin de 1997 à 2014, Hans-Jörg-Rheinberger a publié en 2007 un bref ouvrage intitulé Introduction à la philosophie des sciences (trad. N. Jas, La Découverte, 2014). Il faudrait toujours se méfier des introductions. On se dit qu’elles sont des résumés pour étudiants, ou des notes de synthèse, mais, sous des dehors de simplicité et de facile compréhension, elles peuvent – comme l’Introduction à la médecine expérimentale de Claude Bernard en 1865 – ouvrir à une réorganisation en profondeur d’un savoir. Au temps de Claude Bernard, les philosophes contestèrent l’importance donnée à la méthode scientifique. On peut penser que les adeptes des systèmes de pensée contesteront tout aussi vivement une démarche qui inscrit l’épistémologie dans l’histoire.
L’objet épistémique
Hans-Jörg Rheinberger compte parmi les historiens et philosophes des sciences contemporains les plus connus. On lui doit d’importantes contributions à l’histoire de la notion d’hérédité, et surtout l’invention de la notion d’« objet épistémique », qu’il a introduite en 1997. En bref, un objet épistémique marque une sorte de tension vers la solution d’un problème hors d’atteinte de la compréhension actuelle, et qui se situe à l’horizon d’un domaine de connaissance. Dessinant une trajectoire d’hypothèses, les objets épistémiques sont en même temps enracinés historiquement dans des données et des pratiques connues. En d’autres termes, ils guident les conceptualisations successives et l’expérimentation, permettant l’orientation d’un savoir que l’on identifiera plus tard. Cette notion s’est révélée particulièrement fertile pour la compréhension des mécanismes à l’œuvre dans la démarche scientifique. Pour le formuler autrement, décrire un mécanisme de recherche à partir de ses racines jusqu’à sa construction en cours et ses projets conduit à historiciser la démarche épistémologique.
C’est très clairement ce qu’étaye Rheinberger dans son Introduction, s’opposant fermement à un courant des philosophes et des historiens des sciences, qui cherche à rassembler les disciplines scientifiques dans un jeu de systèmes, ou, à l’inverse, à les disloquer en analyses ponctuelles d’un chercheur, avec ses connaissances et ses capacités productives individuelles. Rheinberger avait déjà montré que, tout au long du xixe et du xxe siècle, on devait considérer la science comme une entreprise culturelle mobile qui se transforme dans le temps et échappe à tout système unique. Pour comprendre une démarche scientifique, il faut donc s’intéresser aux conditions changeantes dans lesquelles les sciences, avec leurs diversités et leurs ruptures, prennent forme tout autant qu’elles changent de forme. Il faut en même temps les situer dans la quête d’un horizon entrevu mais encore hors d’atteinte.
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Écrit par
- Gabriel GACHELIN : chercheur en histoire des sciences, université Paris VII-Denis-Diderot, ancien chef de service à l'Institut Pasteur
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