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INTRODUCTION À LA PHILOSOPHIE DES SCIENCES (H.-J. Rheinberger) Fiche de lecture

Penser la science

À travers les regards croisés de philosophes des sciences et de producteurs d’information scientifique, Rheinberger reprend l’analyse historique qui est la sienne. Le premier constat ne manque pas de piquant : on peut bien se passer d’Aristote et de Platon, le travail scientifique se déroule dans l’atmosphère qui est issue des Lumières puis de la révolution industrielle et de ses suites. La philosophie des sciences n’existe que depuis que les sciences, au sens occidental, existent : expérimentales, visant à comprendre l’Univers et à agir sur lui. Comme le faisait Ludwik Fleck, à l’origine du concept de « collectif de pensée », il s’agit ici de s’appuyer sur les faits et leur production. Rheinberger étudie donc l’épistémologie scientifique des deux siècles écoulés en cinq périodes, chacune d’elles étant illustrée par l’analyse des réflexions conduites par un petit nombre de scientifiques et de philosophes. Pour Rheinberger en effet, l’épistémologie n’est pas laissée aux philosophes, elle est le fait du producteur de connaissance lui-même, qui parfois, en vient à théoriser sa pratique. Si, pour chaque période, des noms connus (en général) apparaissent, l’analyse de leur œuvre n’est pas placée sous l’angle de la construction d’un type d’épistémologie, elle est bien plutôt replacée dans son contexte culturel et historique, son origine et son évolution. Ainsi, la toute première période, qui s’arrête vers la Grande Guerre, est caractérisée par l’arrachement à la métaphysique et l’abandon de l’espoir d’une science unique ; la seconde est marquée par le choc de la physique quantique et la réflexion sur le fait scientifique ; la troisième s’interroge sur la place de la technique et le caractère « évolutif » de la démarche scientifique ; la quatrième, qui domine les deux décennies qui suivent la Seconde Guerre mondiale, vise à la réflexion épistémologique sur l’histoire des sciences, et cherche à replacer cette dernière dans l’histoire des idées. La cinquième est particulièrement singulière. Rheinberger y traite du tournant post-structuraliste et invoque des auteurs dont on ne peut pas dire qu’ils aient beaucoup écrit sur la science comme théorie et pratique – Louis Althusser, Jacques Derrida et Michel Foucault –, ou dont le nom demeure trop exclusivement référé à la biologie-médecine, comme Georges Canguilhem. C’est que ces auteurs, par leur programme et leur pratique de recherche, ont bouleversé l’activité intellectuelle bien au-delà de leur domaine propre. Beaucoup encore renâclent à l’accepter, mais Rheinberger emporte ici la conviction de leur importance pour les sciences.

La fin de l’ouvrage est une réflexion sur ce que l’auteur appelle le tournant anthropologique de la philosophie des sciences, marquée par Ian Hacking et Bruno Latour, et qui est caractérisée par une dynamique épistémologique tout autant éclatée que collective. La dernière phrase du livre éclaire l’ensemble du propos : « L’épistémologie historique trouve alors dans l’histoire des sciences – passée et à venir – son propre et permanent laboratoire ». L’une ne peut plus se passer de l’autre.

— Gabriel GACHELIN

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Écrit par

  • : chercheur en histoire des sciences, université Paris VII-Denis-Diderot, ancien chef de service à l'Institut Pasteur

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