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INTUITION

Les étapes majeures d'une philosophie de l'intuition

La tradition de l'intuition intellectuelle

Cette tradition se laisse suivre, dans sa formation et ses développements, depuis la pensée antique, platonicienne et aristotélicienne, jusqu'à la pensée classique, dominée par les vues cartésiennes. Malgré la variation du thème, on peut marquer certaines dominantes : le rationalisme idéaliste, dont il est question, sépare nettement l'intuition intellectuelle, opération du νο̃υσ (nous) ou de la pensée pure, de l'intuition sensible, de l'ἀισθησις (aisthésis), bien qu'elle attribue à l'une et à l'autre un caractère surtout réceptif ; l'intuition intellectuelle est contemplation, rencontre et déploiement d'une évidence qui se donne à la pensée humaine. Il faut ajouter qu'elle contrôle le discours, de sorte que l'évidence et la démonstration ne sont pas deux genres autonomes de connaissance, mais que la seconde a surtout pour rôle de rendre la première plus explicite.

La doctrine aristotélicienne du savoir porte à un très haut degré la solidarité des composantes de celui-ci : l'expérience sensible signale ou annonce l'idée, dont la noèsis prend possession, et dont la déduction développe les implications. Dans l'économie du savoir, l'intuition intellectuelle a le rôle initiateur, elle fournit à la fois les points de départ et l'orientation de l'opération rationnelle : elle est la puissance des axiomes, des certitudes sans lesquelles la pensée n'aurait pas de garantie sur la vérité de ses concepts ; mais de plus elle contrôle et englobe le mouvement même du discours. Le syllogisme est le procédé logique qui coordonne les termes extrêmes par l'intercalation des termes moyens, mais ce faisant il déploie l'évidence des raisons, il explicite le pouvoir de l'essence qui lie les propriétés dépendantes à la substance. Il faut se placer hors de cette puissante synthèse aristotélicienne pour trouver des motifs de rupture entre l'évidence intellectuelle, l'expérience et le discours. Ainsi dans la tradition platonicienne les idées ou essences sont transcendantes au réel. Il est vrai que l'intuition de l'esprit, qui est vision de ces essences, se prolonge dans un discours pleinement éclairant qui est la dialectique, mais celui-ci précisément se développe sur un plan supérieur à celui de la sensation ou du discours descriptif. La rupture se consomme dans la doctrine néo-platonicienne qui a un couronnement mystique, et qui marque la divergence entre la connaissance intuitive, tournée vers l'Un, et la connaissance discursive, qui se développe au niveau des existences séparées. Mais, par ailleurs, l'Antiquité ébauche une conception à la fois formaliste et empiriste de la connaissance, dont les traits apparaissent dans le stoïcisme : il existe des rapports purement syntactiques entre les signes, un cadre vide de l'énonciation, qui doit être rempli par les faits d'expérience.

C'est cet héritage déjà complexe qui est repris par les conceptions médiévales, puis par les conceptions classiques de la connaissance. La scolastique s'efforce de concilier la doctrine augustinienne, néo-platonicienne, de l'intuition intellectuelle, la doctrine aristotélicienne de l'abstraction, selon laquelle les espèces intelligibles ont à être extraites du sensible, et la doctrine nominaliste des signes. À l'époque de l'humanisme et dans la grande époque classique, la conception de la connaissance se réorganise à nouveau autour du primat de l'intuition intellectuelle. Cette tendance augustinienne est renforcée par l'importance nouvelle que l'on accorde au modèle mathématique de la connaissance, étant donné qu'on interprète la μ́αθησις (mathésis[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université des sciences humaines, lettres et arts de Lille

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