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INTUITION

L'intuition et le sens dans les perspectives actuelles de l'épistémologie

Ainsi l'idée de l'intuition apparaît comme une idée limite en ce qui concerne l'épistémologie. Lorsqu'on pose une intuition pure de l'objet, on se place en deçà ou au-delà des domaines que la connaissance peut expliciter. En deçà, lorsqu'on se reporte à la présence perceptive qui, comme l'a marqué Maurice Merleau-Ponty, nous fournirait une première image consistante du monde, exempte du mélange des concepts ; au-delà, si l'on suit la métaphysique dans ses efforts pour établir un contact direct avec l'être indépendant du discours.

Toutefois, il y a des raisons de refuser l'opposition sans médiats de l'intuition et du logos, et de relever les états mixtes, dans lesquels l'intuition s'exerce en conjonction avec les modes discursifs de la pensée ou avec les modes opératoires de l'action. L'une des vues de base de l'empirisme logique est qu'il n'existe pas de perception qui ne soit articulée déjà par quelque langage, et ne contienne des catégories directrices que la sensation remplit. Et, d'autre part, les philosophies de la praxis nous ont accoutumées à l'idée que l'objet qui s'offre à notre représentation soit informé déjà par notre comportement inconscient vis-à-vis du monde. On pourrait désigner approximativement ce domaine des formes mixtes en disant que les problèmes que l'on posait en termes d'intuition peuvent se reposer en termes de « sens ». En effet, une signification est présente quand le sujet s'adresse au monde à travers les langages qu'il emploie ou les conduites qu'il organise. Et ce déplacement des problèmes n'est pas sans importance pour une philosophie de l'art, de la science ou de la conscience.

Que l'art soit le domaine des expériences intuitives, c'est une vérité qu'il est impossible d'éluder, et que Goethe exprimait fortement en disant que l'œuvre apporte une mesure immanente au sensible qu'il ne faut pas confondre avec les métriques abstraites de l'entendement. Toutefois le « sens » de l'œuvre est une intuition très médiatisée : la production même de celle-ci évoque l'intervention d'une technique qui se rectifie sur ses essais, ou d'une écriture qui s'élabore dans le cadre même du texte. En outre, l'œuvre est pénétrée de liaisons symboliques par quoi elle devient langage, et l'on pensera à l'évolution même des codages qui introduisent une mesure variable dans les formes de l'art : systèmes tonals ou picturaux, styles de l'écriture, sont les produits d'une histoire d'ajustements successifs.

D'une manière plus manifeste encore, on a des raisons de dire que l'activité de la science ne repose pas sur une base stable d'évidences, mais qu'elle développe les significations portées par ses langages, et qu'elle arrive ainsi à des évidences médiates. On peut parler d'un projet sémantique de la science, qui formule prospectivement des propositions ou ébauches des systèmes de concepts avant de les soumettre aux clauses d'une analyse radicale, ou bien qui prolonge des procédés opératoires en les soumettant progressivement aux codifications axiomatiques.

Du moment où l'on rattache ainsi les états intuitifs de la conception aux transitions historiques d'un savoir qui change sa logique et ses référentiels, ces états apparaîtront, comme l'avait déjà bien noté Gaston Bachelard, comme des instances très dialectiques : ce sont des instances de blocage, dans la mesure où elles fixent les acquis du passé du savoir ; et ce sont des instances de novation, dans la mesure où elles projettent sur le futur des possibilités encore indéterminées.

Ces perspectives ont[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université des sciences humaines, lettres et arts de Lille

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