INTUITIONNISME
Dans l'acception technique et contemporaine du mot, c'est-à-dire quand le terme ne se contente pas de caractériser une philosophie faisant à l'intuition une large part, l'intuitionnisme est à la fois une doctrine relative aux mathématiques, à la vérité et au langage, et une logique « non classique » qui trouve son fondement dans cette doctrine.
La conception intuitionniste des mathématiques en fait une science qui décrit nos constructions mentales. Les objets mathématiques, loin d'être des réalités « platoniciennes » objectives, autonomes et éternelles, sont des produits de l'esprit humain, accessibles par réflexion et par introspection. Chaque assertion mathématique peut être exprimée sous la forme : « J'ai effectué la construction A dans mon esprit » (A. Heyting, 1971).
L'intuitionnisme de Brouwer
Compte tenu de cette accessibilité, l'idée d'une vérité mathématique inconnue est absurde : comme l'écrit en 1948 le Néerlandais Luitzen Egbertus Brouwer (1881-1966), créateur et promoteur de la doctrine, « il n'y a pas de vérité sans expérience de la vérité ».
Le rôle du langage est considéré comme mineur : il est restreint à la mémorisation des résultats de l'activité mathématique individuelle de construction et à sa communication à autrui. D'une part, un mathématicien qui serait doué d'une mémoire parfaite pourrait parfaitement opérer sans langage, d'autre part, la connaissance des transcriptions linguistiques des constructions d'autrui ne saurait tenir lieu de connaissance mathématique : la vérité communiquée demande à être rééprouvée pour soi-même, et les constructions à être refaites pour son propre compte.
C'est dire que l'intuitionnisme est une doctrine massivement hétérodoxe, qui contredit l'opinion reçue selon laquelle les mathématiques sont une science objective, dont les propositions sont vraies ou fausses selon qu'elles sont conformes ou non à certains états de choses mathématiques sui generis, et dont les preuves peuvent être communiquées intégralement et sans résidu par le biais de leur écriture dans des systèmes formels de type approprié. Nulle surprise, dans ces conditions, si la logique répondant aux principes intuitionnistes est en large désaccord avec la logique « classique », pour laquelle une proposition est vraie ou fausse de manière absolue et déterminée, indépendamment de nos moyens de reconnaître quel est effectivement le cas.
La différence la plus notoire tient au principe du tiers exclu, A ∨ ¬A (« A ou non A »), qui est classiquement correct, mais que l'intuitionnisme rejette. Si toutes les vérités doivent être connues ou éprouvées, il n'y a aucune raison d'admettre qu'un énoncé est vrai ou faux, lorsqu'il porte sur un domaine dans lequel n'existe aucune procédure de « décision » permettant de savoir, de l'énoncé ou de sa négation, quel est le cas. De manière plus générale, une disjonction comme A ∨ B ne doit être considérée comme correcte que si nous sommes capables de justifier l'un des deux énoncés A et B : dans le cas contraire, il n'y a pas de sens à dire que l'un ou l'autre est vrai. La même révision des principes classiques s'applique à l'inférence de ¬∀x¬Fx (« il est faux qu'aucun x n'est un F ») à ∃xFx (« il existe un x qui est un F ») : du fait que je me suis convaincu que l'hypothèse selon laquelle aucun objet n'est un F conduit à contradiction, ne découle nullement que j'ai effectivement construit un exemplaire de F. Ce dernier principe, dit d'« existence », illustre particulièrement bien ce que l'intuitionnisme reproche à un bon nombre de lois logiques classiques. Comme l'écrit Brouwer (1908), qui parle à ce propos de « manque de fiabilité[...]
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Écrit par
- Jacques-Paul DUBUCS : chargé de recherche au C.N.R.S.
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