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INTUITIONNISME

Antiréalisme et autres interprétations contemporaines de l'intuitionnisme

La doctrine intuitionniste, de son côté, a fait l'objet d'interprétations diverses et fort importantes en philosophie contemporaine. La première et la plus connue est celle du philosophe britannique Michael Dummett (1925-2011), qui propose de voir dans l'intuitionnisme une entreprise systématique de théorie « antiréaliste » de la signification, fondée à la fois sur l'idée que la vérité ne saurait transcender sa reconnaissance comme telle et sur un principe de « manifestabilité » dû à Ludwig Wittgenstein (1889-1951), selon lequel la maîtrise de la signification d'un énoncé par un locuteur doit être une capacité publiquement manifestable dans le comportement. Ce dernier trait exclut, selon Dummett, que la signification d'un énoncé réside dans ses conditions de vérité, puisque la capacité d'énoncer de manière « homophone » les conditions de vérité (« « A » est vrai si et seulement si A ») n'est évidemment le support d'aucune activité publiquement manifeste. Tout autre, à en croire Dummett, est le cas des conditions d'« assertabilité » de l'énoncé : les maîtriser, c'est-à-dire savoir à quoi s'en tenir sur les conditions dans lesquelles son assertion serait justifiée, en bref savoir en quoi consisterait une preuve de l'énoncé en question, cela est, de toute évidence, le support d'une activité observable, celle de démonstration. Ce sont donc ces conditions, à l'exclusion de toute considération d'un état mental « privé », qui doivent caractériser la saisie de la signification. Le programme antiréaliste de Dummett, qui a vocation à s'étendre au-delà de la sphère des mathématiques et à fournir également un cadre de référence pour la théorie de la signification des énoncés empiriques, repose moins sur des considérations métaphysiques touchant à la légitimité de l'ontologie platonicienne des objets mathématiques que sur des considérations de nature sémantique. Il suscite deux types d'objections activement discutées dans la philosophie contemporaine.

Le premier concerne son éventuel manque de radicalité. En se réglant, comme le faisaient Brouwer et Heyting eux-mêmes, sur la capacité du sujet mathématicien de décider en principe tel ou tel problème mathématique, c'est-à-dire en faisant abstraction des éventuelles limitations de temps ou de mémoire qui, en pratique, peuvent limiter cette capacité, Dummett ne laisse-t-il pas subsister des « vestiges de réalisme » dans sa problématique antiréaliste ? Beaucoup de travaux, dont ceux de Crispin Wright (né en 1942), tentent de proposer un antiréalisme « radical » capable de prendre en compte de telles limitations et certains s'adressent à cet effet à des logiques « ultra-intuitionnistes » ou « ultra-finitistes » pour les traiter au plan formel.

L'autre série d'objections insiste sur le caractère finalement assez paradoxal d'une interprétation de l'intuitionnisme qui met en avant un principe de « publicité » des significations foncièrement étranger à Brouwer : l'idée première de celui-ci, à savoir que les actes créateurs de la pensée ont priorité sur la communication linguistique toujours inadéquate qui peut en être donnée à autrui, suggère au contraire une conception dans laquelle l'état épistémique dans lequel se trouve l'auteur même de la preuve n'est pas immédiatement disséminable. Des auteurs comme Michael Detlefsen (né en 1948), qui préconisent un retour à l'« intuitionnisme brouwérien », proposent, dans cette veine, une interprétation substantiellement différente de celle de Dummett.

L'existence et l'acuité de ces discussions montrent le rôle central joué aujourd'hui par l'intuitionnisme[...]

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