INVENTION
Le processus d'invention
Les nombreuses études concernant la création intellectuelle décrivent avec une assez remarquable constance le processus d'invention. On distinguera ici, après G. Wallas et en les complétant quelque peu, cinq stades dans ce processus.
Le premier, c'est l'assimilation du connu, l'information ou, plus spécifiquement, la documentation. L'inventeur s'efforce tout simplement de connaître de façon plus précise le monde dans lequel il est et d'en percevoir le détail dans le domaine particulier qui l'intéresse. Ce stade, qui peut coïncider avec une culture générale ou donner lieu à une recherche professionnelle en laboratoire, se caractérise par une sorte d'insatisfaction diffuse, un manque, une orientation, une inquiétude vis-à-vis de la partie du monde extérieur soumise à l'investigation qui se présente comme une forme lacunaire.
Dans le deuxième stade, celui de l'incubation, le chercheur vit avec son insatisfaction, porte son problème avec lui ; il a tendance à considérer le monde comme un appendice à « son problème » et à le distordre en conséquence. L'incubation est un processus souvent très long ; l'homme vit comme avec un remords, discrètement obsédant. « Comment l'avez-vous trouvé ? » demandait-on à un inventeur, « En y pensant toujours », répondit-il. L'incubation est une sorte de mobilisation des ressources de l'esprit et du monde extérieur, au profit du problème. L'inventeur ne voit dans les phénomènes extérieurs que ce qui les rattache de près ou de loin à cet objet diffus de préoccupation qui est au centre de lui-même. C'est à ce stade que gît l'originalité essentielle de l'acte d'invention ; c'est sur ce moment psychologique qu'on en sait le moins.
Le troisième stade, l'illumination, est souvent extrêmement bref ; c'est un éclair dans la pensée, où subitement la forme « ouverte » trouve sa fermeture et son accomplissement, où la tension se relâche dans un schème original, la solution, qui est, en même temps, dissolution du problème posé, avec ce caractère de certitude, de satisfaction de l'esprit, souvent trompeuse d'ailleurs, qui définit l'idée nouvelle.
En quatrième lieu vient la vérification. La certitude acquise de tenir la vérité est provisoire, toute personnelle ; l'imagination doit passer par le crible de la raison déductive, de l'agencement des éléments de pensée, du contrôle des ordres de grandeur, de la hiérarchisation des éléments. L'inventeur doit explorer point par point un champ de conscience recouvert par une forme saisie dans une illumination, retrouver dans le paysage obscur tous les points, tous les objets et tous les obstacles que l'éclair lui a fait entrevoir ; s'il n'y arrive pas, il doit retourner à un stade antérieur pour retrouver une autre illumination qui le mènera plus loin, et ainsi de suite. Pour cela, il faut travailler, agencer, mettre en ordre, calculer, expérimenter ; c'est long et laborieux ; il y faut une énorme ténacité, 99 p. 100 de transpiration, disait Thomas Edison.
Le cinquième stade sera celui de la formulation « universelle », qui commence pour l'inventeur avec la maîtrise de son propre langage et se terminera, après de nombreuses étapes, par le brevet d'invention ou le modèle de laboratoire, établi avec l'aide de spécialistes divers et souvent de moyens considérables. C'est le début de la socialisation de l'invention, son passage au niveau de la société de masse.
Dans la société contemporaine, l'invention est un processus ardu et multiforme, utilisant des éléments de pensée ou des éléments matériels agencés de façon complexe ; et l'idée brillante et simple, du type « pointe Bic » ou « fermeture Éclair », doit passer au stade d'une technologie,[...]
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Écrit par
- Abraham MOLES : professeur d'Université, directeur de l'Institut de psychologie sociale des communications à l'université de Strasbourg-I
Classification
Média
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