INVENTION
La créativité et le développement technologique
L'invention repose donc sur la créativité de tel ou tel être, en théorie de tous, même s'il existe des caractères d'inventeur et des vies d'inventeur. Certains ont une productivité créatrice plus grande que les autres, mais personne n'en est totalement démuni. On appelle créativité l'aptitude qu'a l'esprit de réorganiser les éléments du champ de conscience, nourri par les perceptions et les connaissances, d'une façon originale et susceptible de donner lieu à des opérations dans un quelconque champ phénoménal. On retrouve bien ici les caractères fondamentaux de l'invention, mais celle-ci comporte en outre une réalisation matérielle, inscrivant ces opérations et ces processus dans le monde des choses, une réification des choses nouvelles. On appellera productivité créatrice le nombre de créations ou d'inventions divisé par la quantité de temps ou d'efforts, c'est-à-dire par le coût généralisé correspondant. Joseph Bethenod (1883-1944) a produit quatre cents brevets dans sa vie, tous utilisés, mais Paul-Louis Héroult (1863-1914) n'en a produit qu'un, le four alumino-thermique ; et ce contraste montre qu'une autre grandeur entre en jeu : la prégnance ou le retentissement d'une invention. En fait, il s'agit de la quantité d'originalité qu'elle contient dans la réorganisation des éléments du champ de conscience ; et des théories récentes révèlent qu'il est possible, en principe, d'évaluer la nouveauté d'une invention par rapport à un cadre culturel donné, possibilité qui reste jusqu'à présent assez théorique.
De la définition précédente de la créativité résulte un des problèmes majeurs qui régissent l'invention dans la société industrielle : ce n'est pas tout de créer, encore faut-il que le produit soit utilisable et, plus spécifiquement encore, qu'il soit adapté à la question posée. C'est le problème d'une « créativité en situation » par rapport à une ambiance intellectuelle donnée, d'une recherche orientée vers un but, par définition encore inconnu : si on le connaissait clairement, on y serait déjà parvenu.
Telle est la difficulté à laquelle se heurtent les firmes industrielles dans leurs rapports avec le développement technologique. Comment orienter efficacement l'inventeur sans le stériliser ? Il faudrait soutenir celui-ci de manière spécifique : en lui fournissant des environnements culturels (littérature scientifique, contacts avec des collègues, etc.), qui polarisent son champ intellectuel, et en changeant son environnement immédiat, c'est-à-dire l'« ambiance » du laboratoire ou de l'expérimentation. À cet égard, deux facteurs jouent un rôle prépondérant : d'une part, les contraintes économiques, à savoir le coût (coût en temps, coût d'une action...), qui grève nécessairement et, par là, conditionne tout processus ; et, d'autre part, la loyauté envers l'entreprise que l'on peut traduire comme la plus ou moins grande coïncidence entre l'image que l'inventeur a des buts de l'entreprise et l'image qu'il se fait de lui-même dans cette entreprise.
L'invention technique, qui se substitue ainsi à l'inventeur isolé, est de plus en plus le fait d'un laboratoire bien outillé, secondé ou relayé par des usines pilotes qui assurent le développement du produit ou de l'appareil et qui, représentant une très grande part des mises de fonds, se trouvent de plus en plus déterminées et, par là, déterminent à leur tour la nature de ce qu'elles développent, c'est-à-dire l'invention. À cet égard, Jacob Van Lennep distingue la créativité proprement dite, qui sert plutôt à poser des problèmes, de l'aptitude à résoudre des problèmes et de la simple ténacité : un grand[...]
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Écrit par
- Abraham MOLES : professeur d'Université, directeur de l'Institut de psychologie sociale des communications à l'université de Strasbourg-I
Classification
Média
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