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INVENTION

Conditions d'une heuristique appliquée

L'invention apparaît comme une sorte de cheminement du chercheur dans un labyrinthe dont il discerne mal les couloirs ; il y est mû par une impulsion venant de son insatisfaction de voir le monde tel qu'il est et par la conscience d'une direction générale assez indécise. Il est permis de se demander si l'utilisation d'une psychologie de la forme ou de la création pourrait rendre quelques services à l'inventeur. Une heuristique appliquée est-elle possible, qui résulterait d'une étude statistique, phénoménologique, psychologique d'un grand nombre de processus d'invention (pour autant qu'on puisse accéder aux démarches intellectuelles effectives et profondes sans s'en tenir à l'image superficielle qu'en donne le produit fini passé au crible de la logique et de la pragmatique) ? Il paraît bien établi qu'il y a des méthodes pour inventer, comme le notait déjà Leibniz, des démarches de l'esprit qui fassent mieux que le travail de l'esprit, et le but d'une méthodologie de la découverte est d'isoler, d'énoncer, de collectionner, d'apprécier un certain nombre de ces démarches, d'en montrer les similarités dans des circonstances différentes, puis de les généraliser et de proposer leur variété même à l'esprit qui réfléchit sur un « problème » ou un « manque » du monde environnant pour éventuellement susciter en lui ce décalage (shifting), dans lequel les psychologues voient l'un des ressorts de la création de formes mentales nouvelles. Les méthodes de listes, de constellations d'attributs, de facteurs, au sujet d'un problème, le croisement de ces listes les unes avec les autres dans ce qu'on appelle « matrice de découverte » fournissent à ce propos des exemples de procédures déjà élaborées et susceptibles d'un traitement presque mécanique.

Dès lors si, comme l'affirme le théorème de Kurt Gödel, on ne peut concevoir des machines à inventer, car l'esprit humain est incapable de contenir l'ensemble de ses propres produits présents et à venir, il est possible pourtant de répondre à certains problèmes de l'invention : méthode des variations successives autour d'un thème ; enrichissement des ressources de l'esprit par l'exploitation de la mémoire illimitée et instantanément présente des grands systèmes documentologiques sur ordinateur. Elle rend possible des procédés de combinatoire systématique d'éléments de pensée à partir de certaines règles restrictives suggérées par l'heuristique, c'est-à-dire par l'exploitation des combinaisons effectivement réalisées dans le passé par l'esprit humain sur des éléments restreints.

En ce domaine, les recherches de simulation faites sur ordinateur dans les laboratoires d'études de la pensée artificielle (G. Minsky, H. Simon, R. Raphaël, etc.) suggèrent un élargissement des traitements et des manipulations auxquelles on peut soumettre un certain nombre d'éléments plus ou moins connectés au « problème », dans la mesure où un esprit humain vient ultérieurement censurer, modifier, réviser des suggestions ou des rapprochements faits par le jeu combinatoire de l'ordinateur. À cet égard, les analyses des processus linguistiques ou littéraires, souvent pratiquées dans le champ poétique ou musical (M. Bense, H. Decampos, P. Barbaud, M. Philippot...), peuvent s'avérer extrêmement précieuses pour l'étude des mécanismes d'invention dans le champ scientifique ou technique proprement dit.

Ce sont ces études qui ont révélé l'opposition entre lois d'ordre proche et lois d'ordre lointain dans la combinaison des éléments de pensée présents à l'esprit de l'inventeur. L'ensemble de ces associations, déjà entrevues par James à propos du matériau[...]

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Écrit par

  • : professeur d'Université, directeur de l'Institut de psychologie sociale des communications à l'université de Strasbourg-I

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Edison - crédits : Bettmann/ Getty Images

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