INVESTIGATIONS PHILOSOPHIQUES, Ludwig Wittgenstein Fiche de lecture
Les Investigations philosophiques ont été publiées en 1953, peu après la mort de Ludwig Wittgenstein (1889-1951), à partir de deux manuscrits que l'auteur avait laissés dans un état inégal d'élaboration, et qui en forment les deux parties. À la différence du Tractatus logico-philosophicus, le seul ouvrage de Wittgenstein publié de son vivant en 1921, les Investigations offrent l'image d'une œuvre non seulement inachevée, mais à l'architecture apparemment indéterminée. Le livre, dont Wittgenstein souhaitait qu'il fût publié en même temps que le Tractatus, illustre en fait la distance qui sépare sa première philosophie des voies dans lesquelles sa réflexion s'est engagée à partir des années 1930, après une période de dix ans marquée par la guerre et par le choix d'une carrière d'instituteur qui s'acheva en 1928. Dans les Investigations, tout comme dans les manuscrits intermédiaires édités après sa mort, Wittgenstein renonce en effet à la conception du langage qui avait été primitivement la sienne : une conception caractérisée par une théorie de la proposition qui définit celle-ci comme l'image d'un fait et qui place le langage en relation avec le monde. Il lui substitue une approche « grammaticale », fondée sur la considération des usages et des règles qui gouvernent notre langage, en assignant à la philosophie une tâche descriptive essentiellement destinée à clarifier et à dissiper les confusions dont les problèmes philosophiques lui paraissent le fruit. La notion de « jeu de langage », qui prolonge la vision grammaticale en l'enrichissant d'une dimension pragmatique, oriente alors sa pensée vers des questions et des démarches très différentes de celles qui prévalaient alors en philosophie.
Règles et jeux
Les remarques qui composent la première partie des Investigations concernent essentiellement le problème de la signification. Wittgenstein y critique les conceptions qui en recherchent les sources ou le fondement en dehors du langage, et en particulier celles qui lui attribuent une existence mentale indépendante. La notion de jeu de langage est précisément destinée à marquer toute l'importance des règles et des usages partagés, publics, ainsi que des actes ou des contextes d'action qui donnent au langage son sens. « La signification d'une expression c'est l'usage de cette expression dans le langage ». En même temps, un jeu de langage appartient à une forme de vie. Dans une telle conception, le statut des règles et le rôle des apprentissages sont déterminants. La question de savoir en quoi consiste le fait de suivre une règle, l'idée que cela ne réclame aucune interprétation sont au centre des interrogations sur lesquelles s'ouvre la notion de jeu de langage. La pluralité que recouvre cette notion, les rapports de parenté qui relient les jeux entre eux forment l'horizon commun propre à une langue et aux usages qui la caractérisent. Pour Wittgenstein, qui privilégie une vision du langage comme instrument, les problèmes philosophiques naissent à la fois des mythologies qu'abrite la grammaire de notre langage et de sa mise en « vacance », c'est-à-dire des diverses déconnexions à la faveur desquelles le langage est détaché de ses usages habituels et des contextes de communication qui lui assurent un sens.
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Écrit par
- Jean-Pierre COMETTI : professeur honoraire des Universités
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