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INVISIBILITÉ SISMIQUE

Protéger les bâtiments des dégâts causés par les tremblements de terre ou les tsunamis est l’enjeu de la recherche d’une « cape d’invisibilité sismique ». La littérature de science-fiction a amplement décliné le thème de l’invisibilité du héros qui s’entoure d’une cape magique. Les travaux d’optique théorique initiés en particulier par le physicien britannique John Pendry, les simulations numériques de phénomènes lumineux et les réalisations expérimentales récentes utilisant des cristaux photoniques et des « métamatériaux » spécialement conçus ont permis de tester les processus rendant invisibles des objets de très petite taille. Le principe est aussi simple que la réalisation est difficile : il s’agit de modifier la propagation des ondes issues de l’objet émetteur pour qu’elles n’atteignent pas l’observateur. Ce qui est théoriquement possible pour une onde lumineuse l’est également pour une onde sonore ou pour une onde sismique, mais l’échelle caractéristique n’est plus le nanomètre mais plutôt le mètre.

Les chercheurs ont d’abord résolu le problème de l’invisibilité acoustique en concevant des métamatériaux aptes à tirer partie des phénomènes d’interférence destructives entre les différentes composantes d’une onde sonore se propageant dans une plaque fine; ils ont pour cela conçu et optimisé un « cristal phononique », c’est-à-dire un matériau dont la structure s’inspire de celle des cristaux pour réagir aux vibrations spatiales comme ceux-là réagissent aux oscillations du champ électromagnétique. Les centres diffuseurs de ces dispositifs forment un réseau périodique d’anneaux concentriques qui transforme le train d’onde initial en des ondes sonores dont la somme s’annule le long de certaines directions privilégiées.

On a ensuite tenté d’appliquer ces résultats aux ondes sismiques. Les ondes les plus destructives générées par un tremblement de terre sont souvent les ondes de surface, appelées ondes de Rayleigh ; elles ont des fréquences de quelques hertz et des célérités assez faibles. Un obstacle important à la résolution du problème physique posé par les ondes sismiques est la nature complexe d’un terrain naturel ; le sol est en effet un milieu mou, anisotrope et irrégulier. Sébastien Guenneau, physicien à l’institut Fresnel du C.N.R.S. à Marseille, a proposé en 2013 d’utiliser une description simplifiée de ce milieu afin de modéliser la propagation des ondes de surface et de prédire leur comportement si on disposait des obstacles adéquats selon un motif qu’on pouvait optimiser. Avec deux ingénieurs de l’entreprise de travaux publics Ménard de Marcoussis (Essonne), il a réalisé et testé ce qu’on pourrait appeler un « métamatériau sismique » d’environ 100 mètres cubes constitué de trois rangées d’une dizaine de trous cylindriques profonds de 5 mètres et larges de 32 centimètres. La source donnant naissance aux ondes sismiques est un vibreur transmettant au sol un déplacement horizontal de 14 millimètres avec une fréquence de 50 hertz. Des sondes réparties sur une surface de 400 mètres carrés environ mesurent les vitesses de déplacement du sol et donc l’énergie destructrice reçue de la source. L’expérience a démontré que la présence des trous permet de diminuer sensiblement la transmission de l’onde sismique vers certaines zones.

Il faut souligner que l’onde sismique n’est pas annihilée par la cape d’invisibilité, mais plutôt déviée et modifiée. Ainsi, dans le dispositif conçu par Stéphane Brûlé et son collaborateur de l’entreprise Ménard, une part de l’énergie de l’onde est réfléchie vers la source, ce qui accroît sa capacité destructrice dans cette région. Cela enlève beaucoup d’intérêt au processus si on pensait l’utiliser dans une zone densément construite ou habitée, comme le centre d’une ville ; il faut plutôt le[...]

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Écrit par

  • : directeur de recherche émérite au CNRS, centre de physique théorique de l'École polytechnique, Palaiseau

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