LIOUBIMOV IOURI (1917-2014)
Personnalité théâtrale de premier plan, emblématique de la résistance culturelle au pouvoir soviétique dans les années 1960-1970, Iouri Petrovitch Lioubimov est né le 30 septembre 1917 à Iaroslavl, sur les bords de la Volga. Venu à Moscou en 1922 avec ses parents, inquiétés lors de la montée du stalinisme, il suit d’abord une formation d’électricien, avant d’être admis à l’École du Théâtre d’art II (MKhaT II) dirigé par Mikhaïl Tchekhov, en 1934. Par la suite, il poursuit son apprentissage de comédien au Théâtre Vakhtangov, dont il sera l’interprète durant de longues années, tout en développant une carrière cinématographique importante, avant de devenir pédagogue à l’Institut Boris Chtchoukine. C’est avec ses étudiants qu’il réalise sa première mise en scène en 1963, pour La Bonne Âme de Se-Tchouan de Bertolt Brecht, dont les représentations furent reçues comme un manifeste théâtral par la jeune génération tant pour ses formes innovantes que pour le souffle de liberté introduit sur la scène.
Profitant d’un relatif assouplissement culturel du régime, Lioubimov obtient l’utilisation d’un ancien cinéma aménagé sommairement : ce sera le Théâtre de la Taganka, situé sur la place du même nom à Moscou, et inauguré le 23 avril 1964. Cette salle de 600 places, très fréquentée, devient un phare du théâtre russe contemporain. Avec sa troupe, qui intègre des jeunes acteurs remarquables, Lioubimov entre en lutte avec le conformisme ambiant et dose savamment le répertoire des auteurs représentés, en privilégiant la métaphore pour éviter les pressions du régime et limiter la censure. Metteur en scène, adaptateur, il réalise des spectacles mémorables : Dix Jours qui ébranlèrent le monde (1965), dans une traduction du livre de John Reed par Boris Pasternak ; Tartuffe de Molière (1968) ; Le Maître et Marguerite (1977), d’après Mikhaïl Boulgakov ; Les Possédés d’après Fiodor Dostoïevski (1985) ; Marat-Sade de Peter Weiss (1998) ; et, bien sûr, Hamlet (1971),avec, dans le rôle-titre, l’inoubliable comédien-chanteur Vladimir Vyssotski, devenu une star de la scène. Pour l’opéra, il réalise une version décapante du Prince Igor d’Alexandre Borodine au Théâtre du Bolchoï.
Les créations de Lioubimov, partisan d’un théâtre épique et poétique, témoignent notamment, d’une inventivité visuelle expressive due à son utilisation de la lumière, en osmose avec son scénographe David Borovski. Son audience devient internationale, et il est présent dans de nombreux festivals. En 1984, à Londres, lors d’une création de Crime et Châtiment, il tient des propos qui déplaisent au Kremlin. Déchu de sa nationalité, il reste six ans en exil à l’Ouest – son implantation en France, à la MC 93 de Bobigny, fut même envisagée –, avant de revenir à Moscou durant la perestroïka et de reprendre ses créations théâtrales. Tout au long de sa carrière, Lioubimov est resté fidèle à l’esprit des personnalités marquantes qu’il a côtoyées tout au long de son parcours, et qui ont contribué à forger son engagement artistique et citoyen : Vsevolod Meyerhold, Boris Pasternak, Dimitri Chostakovitch et Nicolaï Erdman. Après une période troublée, le metteur en scène quitte la Taganka en 2011, en raison de profonds désaccords avec la troupe, mais continue de travailler de manière ponctuelle dans différents théâtres. En 2013, il met en scène au Bolchoï une nouvelle version allégée du Prince Igor qui connaît un grand succès, tout comme L’École des femmes, avec des musiques du compositeur Vladimir Martynov, une création présentée en mai 2014 au Novaya Opéra de Moscou.
Iouri Lioubimov est mort le 5 octobre 2014 à Moscou.
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Écrit par
- Jean CHOLLET : journaliste et critique dramatique
Classification
Autres références
-
RUSSIE (Arts et culture) - Le théâtre
- Écrit par Béatrice PICON-VALLIN et Nicole ZAND
- 8 643 mots
Iouri Lioubimov est sans doute le nom le plus célèbre du théâtre soviétique contemporain. Jusqu'au jour où, après presque vingt ans de bons et « déloyaux » services, émaillés d'innombrables incidents avec les censeurs, il décide de rester en Occident. Pourtant, aujourd'hui encore, son nom et celui de...