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IPHIGÉNIE, Jean Racine Fiche de lecture

Un tableau de l'humaine condition

Cette tragédie puise à la double source de l'Iliade d'Homère et de l'Iphigénie à Aulisd'Euripide, et renvoie à la fois au mythe des Atrides et au cycle de la guerre de Troie. Racine, en pleine querelle des Anciens et des Modernes, affirme, comme il le déclare avec force dans la préface, son attachement aux auteurs et aux œuvres de l'Antiquité dont il avait semblé s’éloigner avec Bajazet (1672) et Mithridate (1673). La pièce reprend les principaux éléments du récit du destin de la fille d'Agamemnon, y compris, dans plusieurs versions, l'intervention finale d'Artémis lui substituant tantôt une biche, tantôt (Racine se réfère ici à un certain Stésichore) une princesse homonyme, fille d'Hélène et de Thésée. Le public averti retrouve d'ailleurs les traits familiers des principaux protagonistes : courage et irascibilité d'Achille, ressentiment de Clytemnestre, froid pragmatisme d'Ulysse, orgueil et indécision d'Agamemnon...

Quant au personnage d'Ériphile, Racine justifie son invention par le souci des bienséances (épargner Iphigénie afin de ne pas « [souiller] la scène du meurtre d'une personne aussi vertueuse et aussi aimable ») et de la vraisemblance (ne pas « dénouer ma tragédie par le secours d'une déesse et d'une machine, et par une métamorphose […] trop absurde et trop incroyable »). Mais il s'agit aussi, en introduisant dans la trame politique et religieuse le triangle amoureux et ses corollaires – jalousie et malentendus, querelles et réconciliations –, de satisfaire le goût du public pour les intrigues galantes.

Reste le thème central de la pièce – le sacrifice –, auquel les contemporains de l'auteur, ne fût-ce qu'au travers de ces deux figures fondatrices que sont Abraham (pour l'Ancien Testament) et Jésus-Christ (pour le Nouveau), ne pouvait qu'être sensibles. Le sujet n'est pas nouveau. Mais le sacrifice d'Iphigénie apparaît moins ici comme un acte par lequel elle déciderait de renoncer à la vie au nom d'un idéal que comme l'effet d'une résignation, d'une soumission désespérée à un ordre établi nullement contesté comme à un amour filial absolu. C'est qu'avec Racine, l’héroïsme cornélien, qui exaltait volonté et force de caractère, laisse la place à une tragédie plus intérieure, mettant en lumière la faiblesse de héros désacralisés, en proie à leurs tourments, jouets des dieux et esclaves de leurs passions. Plus largement, tous les personnages – Achille, assoiffé de gloire mais dominé par sa colère et affaibli par son amour ; Agamemnon, déchiré entre son ambition royale et son amour pour sa fille ; Clytemnestre, mère aimante, reine arrogante, épouse violente ; Ériphile enfin, amoureuse jalouse et victime expiatoire d'un enjeu et d'un conflit qui ne la concernent pas... – apparaissent comme fondamentalement ignorants des ressorts qui les font agir, et donc impuissants à modifier le cours des événements. Du mystère sur les causes de la malédiction divine à celui des origines d'Ériphile, en passant par les mensonges et les dérobades d'Agamemnon et les malentendus entre Achille et Iphigénie, la pièce, surtout dans sa première partie (jusqu'à la scène 5 de l'acte III), montre des êtres perpétuellement égarés, se débattant dans leurs contradictions. Une vision de la condition humaine qui entre en profonde résonance avec le pessimisme de cette seconde moitié du xviie siècle, dont témoignent, dans un autre registre, un Pascal, un La Bruyère ou un La Rochefoucauld.

— Guy BELZANE

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  • IPHIGÉNIE, mythologie

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