IRAN Géologie
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Les principaux domaines structuraux
Comme l'a proposé Jovan Stöcklin, auteur de plusieurs synthèses sur la géologie de l'Iran, l'analyse géologique doit s'appuyer essentiellement sur les caractéristiques majeures des unités structurales rencontrées quelle que soit l'importance de leur extension géographique (fig. 1 et 2), à savoir :
– la nature et l'âge du soubassement crustal (d'origine continentale ou océanique) ;
– les conditions paléogéographiques de dépôt des sédiments de couverture ;
– la géodynamique (présence et nature d'un volcanisme), l'âge et le style des déformations.
Comme toutes les chaînes du Moyen-Orient, celles de l'Iran sont exemplaires du fait de la présence, en leur sein, de zones à ophiolites, ensembles de roches particulièrement intéressantes car elles représentent d'anciennes croûtes océaniques (océans, mers marginales ou rifts) charriées en milieu continental. Bien entendu, ces domaines océaniques ont été refermés par les rapprochements des continents adjacents (par exemple, Arabie-Eurasie), et ils apparaissent comme des cicatrices, encore appelées sutures. Malgré leur étroitesse relative, ces sutures sont du plus grand intérêt pour retracer l'histoire géologique de ces régions.
Le Zagros externe, sa suture ophiolitique et le Main Zagros Thrust
La péninsule arabique, qui s'avance jusqu'au golfe Persique, est constituée par un socle complexe de terrains cristallins précambriens. La couverture sédimentaire débute à l'Infracambrien avec des niveaux d'évaporites (sel) et se poursuit sans perturbation tectonique jusqu'à la période actuelle ; les sédiments, restés sub-horizontaux, y sont épicontinentaux, entrecoupés de lacunes.
Les mêmes caractéristiques se retrouvent dans le Zagros externe, mais avec les trois différences suivantes : les sédiments secondaires y sont beaucoup plus épais (marnes et calcaires), le Tertiaire de la Mésopotamie y est épais et détritique (molasses et conglomérats), les séries y sont affectées de plis spectaculaires percés par des dômes de sel. Ainsi, le Zagros externe doit être considéré comme la marge stable de la plate-forme arabe (zone de passage entre un continent – l'Arabie – et un bassin situé vers le nord-est). Il a été déformé modérément (plis bordiers) à la fin du Tertiaire, lors de l'orogenèse alpine tardive. C'est le domaine des grands champs pétroliers iraniens.
Cette région de 100 à 200 kilomètres de largeur est bordée vers le nord-est, sur toute la longueur de la chaîne, par une zone relativement étroite très tectonisée, que certains chercheurs ont appelé Crushed Zone. Il s'agit d'une limite fondamentale qui correspond à une suture. En effet, on y rencontre des ophiolites et des séries sédimentaires associées, à caractère pélagique affirmé (abondance de sédiments siliceux tels que les radiolarites), allant du Trias jusqu'au Crétacé supérieur. Il s'y ajoute par endroits des formations calcaires de même âge, à faciès de plate-forme (calcaires de Bisitoun). Ces unités (qui se poursuivent en Oman) se présentent sous forme de nappes, déplacées du nord-est vers le sud-ouest et mises en place pendant le Maastrichtien (environ 70 millions d’années).
Les ophiolites sont apparues au Trias et indiquent qu'à cette période un rifting s'opérait entre l'Arabie actuelle et ses prolongements que l'on devrait retrouver maintenant sur la bordure nord-est de la suture (cf. infra). Selon les reconstitutions établies par les paléomagnéticiens, ce domaine océanique devait être assez large, son expansion s'étant prolongée au cours du Jurassique. Les séries à radiolarites et l'évolution sédimentaire de la marge de l'Arabie (séries du Zagros externe) corroborent ce phénomène. Dans ces conditions, on comprend que cette suture soit considérée comme une zone d'accident majeure, limitée par le Main Zagros Thrust.
Le Makrān et le Baloutchistan posent toutefois un problème. Vers le sud-est, on pourrait être tenté de prolonger cette suture à travers le Makrān et le Baloutchistan, car on y trouve encore des ophiolites. Mais ces dernières y apparaissent mélangées à des formations sédimentaires et volcaniques (d'où le terme de coloured melanges) et sont recouvertes par des flyschs cénozoïques. Or de tels mélanges existent aussi au sein du domaine central (cf. infra) et leur âge est discuté (Crétacé ou plus ancien ?). Objectivement, on peut considérer les ophiolites du Makrān comme différentes et indépendantes de celles du Zagros (et les rattacher aux sutures du domaine central) ; mais on peut aussi les rapporter à celles du Zagros en justifiant les différences évoquées par des modalités différentes de fermeture (cicatrisation) : charriage simple et précoce dans les cas des ophiolites du Zagros et de l'Oman ; écaillages, réouverture et fermeture plus tardive en transpression (affrontement en oblique) dans le cas du Makrān. Le problème reste donc ouvert tant que l'on ne dispose pas d'études de détail de ces fameux mélanges du Makrān.
Le domaine central
Bien qu'hétérogène, ce domaine central (au sens de J. Stöcklin) regroupe tous les éléments qui, à l'origine (avant le Trias), étaient attenants à l'Arabie et appartenaient au grand continent du Gondwana (Inde comprise). Leur socle précambrien et leur couverture paléozoïque non déformée à l'Hercynien sont, de ce fait, analogues à ceux de l'Arabie (à quelques différences mineures près : séries complètes ou séries à lacunes). Il s'agit des unités suivantes : le domaine interne et métamorphique du Zagros (zone de Sanendadj-Sirjan), l'Iran central et le bloc du Lut, l'Elbourz. Chacune de ces chaînes ne va acquérir son individualité qu'au cours du Mésozoïque ; elles seront souvent séparées par des zones de coloured melanges, et leurs directions structurales dépendront de l'âge et du contexte géodynamique des déformations qu'elles vont subir. Toutefois, elles ont des points communs qui les opposent au Zagros externe :
– elles sont affectées par des phases orogéniques précoces (début et milieu du Mésozoïque ; début du Cénozoïque) ;
– elles ont subi une faible influence de la tectogenèse plio-quaternaire (celle du Zagros externe) ;
– elles présentent des granitisations multiples et un puissant volcanisme (cénozoïque jusqu'à récent).
Le domaine interne et métamorphique du Zagros
Parallèle à la suture du Zagros, et la chevauchant (phase plio-quaternaire), ce domaine représente la marge active de l'océan téthysien, avec, du Trias au Jurassique, des séries contrastées (schistes ou calcaires ou séries volcaniques). Deux phases de déformations y sont reconnues : une première, d'âge fini-jurassique (néocimmérienne), et une seconde, au Crétacé terminal (laramienne). Elles sont accompagnées de granitisations. Crétacé et Éocène y sont de ce fait discordants. La majeure partie du volcanisme, en particulier celui de la grande chaîne volcanique Sahand-Basmān, y est interprétée comme le résultat de la subduction du domaine océanique téthysien au Paléogène.
L'Iran central et le bloc du Lut
Ceinturé par les bandes de coloured melanges de Sabzevār-Torbat-e Heydariyè au nord-ouest, de Nā‘in-Bāft au sud-ouest et du Sistān à l'est, cet ensemble Iran central et bloc du Lut, malgré sa grande hétérogénéité, représente le noyau du domaine central, interposé entre le Zagros et l'Elbourz.
Une fois encore, l'origine gondwanienne de ces éléments est attestée par le socle précambrien et sa couverture sédimentaire paléozoïque aux faciès de plate-forme. L'ensemble a un aspect de mosaïque découpée par de grands accidents de direction prédominante nord-sud qui délimitent des compartiments aux directions structurales diverses et aux séries mésozoïques très variables. Cette situation est interprétée comme le résultat d'une activité tectonique en horst et graben au cours du Mésozoïque. Le Jurassique, par exemple, argilo-détritique, atteint 6 000 mètres à Nay Band, alors qu'il est surtout carbonaté (1 500 m seulement) dans les Chotori Ranges.
L'histoire de ce domaine est coupée de phases tectoniques suivies de périodes calmes où s'installe un régime de plate-forme : phase cimmérienne suivie de la discordance du Toarcien (dans les Chotori Ranges), phase jurassico-crétacée suivie de la transgression des calcaires à Orbitolinidés (à Yazd), phase fini-crétacée. Ces manifestations tectoniques sont accompagnées d'intrusions granitiques. Enfin, la majeure partie du domaine (particulièrement le Lut) est submergée par des formations volcaniques éocènes.
La complexité structurale de cet ensemble et son isolement par une ceinture de coloured melanges posent un problème. Pour certains chercheurs, ces directions structurales sont héritées de structures anciennes du socle, réactivées à de multiples reprises. Pour d'autres, elles résultent de mouvements de rotation importants, dans le sens anti-horaire, qu'auraient subis ces blocs au cours de leurs déplacements et de leurs collisions entre eux. Quant aux coloured melanges, ils peuvent correspondre à des déchirures accompagnant ces rotations au cours du Crétacé supérieur-Paléogène. Mais on ne peut pas non plus exclure une origine plus ancienne (Trias ?), contemporaine du détachement de ces blocs du continent gondwanien. La vérité est peut-être dans une combinaison des deux phénomènes.
L'Elbourz
Bien que son contenu lithologique ne diffère pas fondamentalement de celui du domaine précédent, l'Elbourz constitue une chaîne aux structures est-ouest bien marquées avec un double déversement : au nord sur le flanc nord, au sud sur le flanc sud. Elle représente une sorte d'antiforme est-ouest à la bordure septentrionale du domaine médian. On y observe aussi la discordance du Lias sur les terrains plus anciens, Lias qui a un faciès noir et charbonneux caractéristique (formation de Shemshak) ; mais, dans la suite de l'évolution, il faut noter une relative stabilité (série carbonatée assez régulière sans discordance entre le Jurassique et le Crétacé). Le versant sud de la chaîne est surtout constitué d'une épaisse série volcanique (de 4 000 à 5 000 m) d'âge éocène (formation de Karadj) qui s'apparente à celles du domaine médian, mais qui disparaît sur le flanc nord de l'Elbourz.
Limite avec l'Eurasie
Au nord de l'Elbourz est creusée la dépression caspienne, zone très subsidente où se sont accumulées d'épaisses séries détritiques mio-pliocènes, et dont le soubassement, d'après les données géophysiques, serait de nature océanique.
À l'est de la mer Caspienne, l'Elbourz est bordé par le Kopet-Dag, chaîne simplement et tardivement plissée (au Plio-Quaternaire), de direction ouest-est à nord-ouest - sud-est, mais où les séries mésozoïques et cénozoïques sont très épaisses et représentent le remplissage d'un bassin fortement subsident à la bordure du continent eurasiatique (bloc du Touran). Au point de vue structural, le Kopet-Dag serait le symétrique du Zagros, en bordure de la plate-forme eurasiatique. Alors, si tout le domaine médian (jusqu'à l'Elbourz) est d'origine gondwanienne et s'en est détaché au Trias (les socles précambriens et leur couverture paléozoïque sont communs) et comme la plate-forme du Touran et le Grand Caucase sont incontestablement eurasiatiques (le Paléozoïque est inclus dans le socle à la suite d'une forte orogenèse hercynienne), le hiatus qui, au Paléozoïque, devait séparer le Gondwana et l'Eurasie (un domaine océanique appelé Paléotéthys) ne peut plus être qu'une suture qui doit se trouver entre l'Elbourz et la plate-forme du Touran, autrement dit sous la mer Caspienne et le Kopet-Dag. L'existence de cette suture a été reconnue le long de la zone de failles de Herāt, au nord de l'Afghanistan. Des ophiolites (serpentines) paléozoïques sont associées à des schistes carbonifères. De part et d'autre, on y retrouve les domaines opposés évoqués ci-dessus : au nord, dans le Paropamisus, un socle hercynien recouvert en discordance par des conglomérats et des grès rouges permo-triasiques ; au sud (bloc de Farāh), des séries analogues à celle du domaine médian iranien.
En Iran, la zone de suture n'affleure pas, mais des indices permettent de la situer au nord de l'Elbourz à cause de la présence de roches vertes dans la région de Recht et de l'épaississement des séries paléozoïques (limite entre la plate-forme gondwanienne et le bassin paléotéthysien) sur le flanc nord de l'Elbourz et à l'extrémité sud-est du Kopet-Dag (massif de Binalud, région de Machhad).
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Écrit par
- Jean BRAUD : docteur ès sciences, maître de conférences à l'université de Paris-Sud, Orsay
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