NÉMIROVSKY IRÈNE (1903-1942)
Née en 1903 à Kiev, Irène Némirovsky appartient à la grande bourgeoisie juive russe. En 1918, sa famille fuit la révolution bolchévique et finit par s'installer en 1919 à Paris. En 1926, elle épouse Michel Epstein, dont elle aura deux filles. Arrêtée en juillet 1942, peu avant son mari, elle est internée au camp de Pithiviers, avant d'être déportée à Auschwitz, où elle meurt dès son arrivée. Faisant suite à la redécouverte de son œuvre et à la publication par sa fille, Élisabeth Gille, d'une biographie (La Mirador, 1992) le prix Renaudot 2004 a été attribué à son roman posthume, et inachevé, Suite française.
Dès les années 1920, Irène Némirovsky commence à publier en revue des contes et des nouvelles. Après un premier roman (Le Malentendu, 1923), le succès que rencontrent David Golder (1929), qui fut porté en 1931 au cinéma par Julien Duvivier, avec Harry Baur dans le rôle principal, puis un récit bref et impitoyable, Le Bal (1930), inspiré par les rapports orageux qu'elle entretenait avec sa mère, s'explique par la maîtrise narrative de l'auteur, qui tout au long des romans publiés pendant l'entre-deux-guerres – entre autres, La Proie, 1938 ; Jézabel, 1936 ; L'Affaire Couriloff, 1933 ; Les Chiens et les loups, 1940, dernier livre paru de son vivant –, tire parti du croisement des cultures (sa gouvernante russe lui avait appris le français avant même son exil) et joue admirablement aussi bien du don d'observation hérité d'un Tchekhov ou d'un Tourgueniev que de l'empreinte des naturalistes français de la fin du xixe siècle, Maupassant ou Huysmans. Si, dans Les Mouches d'automne (1931) ou L'Affaire Couriloff, Irène Némirovsky décrit les milieux de l'émigration russe à Paris, elle témoigne dans La Proie de sa parfaite connaissance de la société française, où sa notoriété précoce l'introduisit dès les débuts de sa carrière, ce qui lui permit d'étudier l'envers du parisianisme et une certaine vanité mondaine, avec en arrière-plan la crise économique et sociale qui marqua les années 1930. Lorsque l'on sait comment la xénophobie ambiante, lors de la période qui précédait la Seconde Guerre mondiale répondit, après la débâcle aux illusions de certains, on imagine combien le roman laissé inachevé, d'Irène Némirovsky, Suite française, peut se prévaloir d'une intuition prophétique. De fait, son statut d'exilée et ses souvenirs de la révolution de 1917 la disposaient à faire du roman un témoignage sur le déclin moral, matériel, social dont les étrangers étaient le mieux placés pour éprouver tous les effets.
Au-delà du destin tragique d'Irène Némirovsky, auteur fêté pendant les années folles mais abandonné à l'ostracisme racial qu'imposaient les lois de Vichy, son œuvre conserve une actualité brûlante, cette représentation de l'entre-deux-guerres se mêle à une confidence personnelle douloureuse. Ainsi, dans Le Bal, rarement l'enfance aura été évoquée avec une vérité aussi aiguë : on y assiste à la vengeance qu'une adolescente mal aimée retourne contre ses parents, des nouveaux riches obsédés par le désir de faire montre de leur réussite aux yeux d'une société frelatée. Même si la plupart des romans d'Irène Némirovsky se situent dans les milieux de l'émigration russe, l'éclairage que les exilés projettent indirectement sur leur pays d'accueil apparaît comme le révélateur de la crise européenne des années 1930. En vertu du raccourci narratif, de l'accélération qu'elle imprime à l'action, grâce également à l'acuité psychologique qui marque tous ses livres, l'écrivain discerne avec lucidité les prémices du drame à venir. De Tchekhov, sur lequel elle devait laisser une étude parue en 1946, elle a retenu l'art de la litote, la compassion retenue, le trait qui cerne implacablement lieux, atmosphères[...]
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Écrit par
- Alain CLERVAL : docteur en droit, critique littéraire
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