IRÉNÉE DE LYON (130 env.-env. 208)
Originaire d'Asie Mineure, Irénée avait passé sa jeunesse à Smyrne où il avait été en relations avec l'évêque de cette ville, Polycarpe, lequel avait reçu l'enseignement de Jean « qui avait vu le Seigneur ». Devenu évêque de Vienne et de Lyon en Gaule, vers 175, il fut mêlé à certaines controverses ecclésiastiques entre Églises orientales et Églises occidentales sous les papes Éleuthère et Victor (175-199). Son œuvre, dirigée en grande partie contre le gnosticisme, contient des formules qui ont trouvé beaucoup d'écho dans la pensée catholique du xxe siècle : on a parfois considéré Irénée comme le premier théologien de l'histoire, et même comme un précurseur de Teilhard de Chardin. En fait, il est avant tout un homme de tradition qui reproduit des enseignements transmis dans l'Église bien avant lui. Il est par là un précieux témoin, à la fois des systèmes gnostiques qu'il combat et des traditions chrétiennes archaïques qu'il utilise contre le gnosticisme. Ses formules « évolutionnistes » demeurent encore à expliquer : elles proviennent peut-être d'une source philosophique ; en tout cas, elles sont assez isolées dans l'ensemble de son œuvre.
Traditions gnostiques et tradition apostolique
La Pseudo-Gnose démasquée et réfutée, tel est le titre de l'ouvrage en cinq livres (écrit vers 180-185) dans lequel Irénée réfute le gnosticisme. Appelé traditionnellement Adversus haereses, il ne nous est parvenu que dans des traductions latine et arménienne. Le premier intérêt de cette œuvre est de conserver des documents gnostiques authentiques, cités scrupuleusement, comme on peut s'en rendre compte en comparant la notice qu'Irénée consacre aux barbélo-gnostiques avec les quatre textes coptes qu'on connaît de l'Apocryphon de Jean (et dont trois ont été retrouvés en 1945 à Nag Hammadi en Haute-Égypte). Grâce à Irénée, on possède donc de précieuses informations sur différents systèmes gnostiques, notamment ceux de Ptolémée, de Marc le Mage, des barbélognostiques et des ophites. Pour lui, présenter avec exactitude ces doctrines, c'est déjà les réfuter à demi, montrer qu'elles sont contraires au bon sens et à la raison. Mais l'essentiel de la réfutation consiste surtout à définir la nature et le contenu de la vraie tradition chrétienne. Les gnostiques prétendent en effet être en possession de traditions secrètes qui remontent aux Apôtres et pouvoir donner ainsi une exégèse des Écritures conforme à celles-ci. Selon eux, ces mystères sont ceux-là mêmes qui ont été enseignés par les Apôtres aux parfaits, à l'insu des autres (III, iii, 1).
Pour Irénée, la tradition vient bien des Apôtres, mais ce n'est pas une tradition secrète : elle est conservée au grand jour dans les différentes Églises, grâce à la succession légitime des évêques que les Apôtres ont choisis eux-mêmes pour enseigner à leur place. Il est relativement facile, aux yeux d'Irénée, d'établir les listes de ces successions épiscopales, à partir des Apôtres, dans chaque Église et tout spécialement dans l'Église de Rome.
Ainsi conservée, cette tradition est partout une et identique, fondée sur la « règle de vérité », c'est-à-dire sur la norme fondamentale de l'enseignement chrétien : « La règle de vérité, c'est qu'il y a un seul Dieu tout-puissant qui, par son Verbe, a fait toutes choses, et qui est le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ » (I, xxii, 1) ; « La règle de vérité, c'est qu'il y a un seul Dieu tout-puissant qui, par son Verbe, a fait toutes choses et qui, en lui, accorde aussi le salut aux hommes » (III, x, 1). Cette règle de vérité s'oppose point par point aux doctrines gnostiques qui distinguent un Dieu créateur et un Dieu rédempteur, et qui multiplient les émanations[...]
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Écrit par
- Pierre HADOT : professeur au Collège de France
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