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IRÉNÉE DE LYON (130 env.-env. 208)

Les traditions chrétiennes d'Asie Mineure

Les présentations que donne Irénée du contenu de la règle de foi ne semblent pas toujours totalement concorder. C'est qu'il se contente de rapporter religieusement les traditions qu'il a connues en Asie Mineure, sans se soucier de les mettre en harmonie avec sa propre théologie, puisqu'il est persuadé que la puissance de la tradition est une et indivisible. L'Adversus haereses (et aussi la Démonstration de la prédication apostolique) renferme ainsi de précieux témoignages sur les doctrines chrétiennes archaïques.

On y constate que celles-ci associaient les notions d'« économie » (ou de dessein de Dieu concernant l'homme) et de « récapitulation » (ou de reprise). Dieu a, de sa propre main, qui est le Verbe, créé Adam « selon l'image et la ressemblance », c'est-à-dire en le destinant à devenir semblable à lui par participation à l'immortalité et à l'incorruptibilité divines, qui s'acquièrent par la vision de Dieu (IV, xx, 5). Mais la désobéissance d'Adam a interrompu la réalisation de ce plan. L'économie du salut consiste donc à confier au Christ la restauration du dessein primitif : l'image et la ressemblance, qu'ils avaient perdues en Adam, les hommes les retrouveront dans le Christ. Il y a une correspondance inverse entre les figures d'Ève et d'Adam, d'une part, et celles de Marie et du Christ, d'autre part. L'immortalité que le Christ rend aux hommes se fonde, comme l'immortalité originelle, sur la vision de Dieu : il faut donc que le Christ fasse voir Dieu, c'est-à-dire qu'il soit lui-même la manifestation de Dieu, le Verbe, ou l'Esprit dans la chair : le Père immense est à notre mesure dans le Fils (IV, iv, 2). On perçoit dans ces formules une tendance doctrinale dont on retrouvera la trace jusqu'au ive siècle (chez Marcel d'Ancyre) et que l'on pourrait appeler le « monothéisme économique ou dynamique » : pour agir et se révéler, le Père émet le Verbe qui était en lui de toute éternité ; par lui, il crée le monde, puis l'homme ; avec lui, il restaure son plan interrompu par la chute. La puissance qu'est le Verbe s'étend alors jusqu'à être présente réellement dans l'homme Jésus, à qui est réservé le nom de Fils de Dieu (le Verbe n'est ainsi le Fils de Dieu qu'au moment de l'Incarnation) ; la puissance du Verbe devient, après l'ascension du Christ, l'Esprit présent dans l'Église. Après cette extension et dilatation maximales, la puissance de Dieu revient vers sa source : à la fin du monde, tout rentre dans l'unité, Dieu est tout en tous.

Les modèles qui dominent ces thèmes archaïques sont de type cyclique : Dieu ramène l'homme à son état originel ; la puissance divine sort de Dieu et revient à Dieu. Mais on trouve aussi chez Irénée un schème linéaire : celui du progrès et de l'éducation (IV, xxxvii-xxxix). L'Incréé est par lui-même acte et perfection ; le créé est nécessairement devenir et imperfection (IV, xi, 2). L'homme n'a donc pu être créé que dans un état d'imperfection et d'enfance qu'un progrès continu dirigé par Dieu mènera à la perfection. Dans cette perspective, il n'y a plus véritablement de rupture provoquée par la chute d'Adam, qui est simplement liée à l'état d'enfance du premier homme. L'économie divine ne consiste plus à restaurer un état originel de perfection, mais à éduquer le genre humain. L'incarnation du Verbe n'est qu'une adaptation à l'état de faiblesse de l'humanité encore en progrès. Cette éducation du genre humain par le Verbe suppose une liberté qui se développe dans le temps. La source utilisée ici par Irénée est-elle philosophique ou chrétienne ? Il est difficile de le dire.[...]

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