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ALBÉNIZ ISAAC (1860-1909)

Le protagoniste du « renacimiento »

Au cours des quinze années qui lui restent à vivre – et qu'il passe à Paris –, Albéniz ne va cesser d'explorer l'espace sonore afin de satisfaire l'exigence nouvelle qui s'est emparée de lui à mesure de ses rencontres dans les milieux musicaux de la capitale. Il s'inscrit spontanément dans la classe de composition de Vincent d'Indy quand la Schola Cantorum ouvre ses portes, et il continue à travailler sous sa direction, alors même qu'il est nommé professeur de piano dans la même institution. Affermissement de la forme et goût de la polyphonie conformes à l'esprit scholiste rejoignent dans ses préoccupations la conquête du milieu harmonique dont Debussy lui a désigné l'accès et dont il se plaira à accuser la couleur grâce à son penchant inné pour les dissonances. Tous ces éléments s'intégreront au style d'improvisation et d'intuition qui caractérise ses paysages espagnols, avec toutefois le risque d'aboutir à des compositions trop savantes pour le peuple ou trop plébéiennes pour l'élite.

Le précieux diptyque d'Espagne-souvenirs (1896) et surtout La Vega (1897) attestent déjà cette magie de l'expression pianistique où poésie et couleur sont liées à l'enrichissement de la palette harmonique et sonore comme à la sollicitation de tous les registres où le clavier peut être habité de féerie. Mais il faudra encore huit ans de silence et de recueillement pour que, avec Iberia, Albéniz signe son œuvre la plus achevée et le chef-d'œuvre de toute la musique espagnole. Après Chopin et Liszt, et dans le même temps que Debussy, le coloris, la sensibilité, le mystère lui-même du piano d'Albéniz demeurent inimitables dans la hardiesse, l'abondance et la somptuosité. « Délire orphique à la Van Gogh », a pu dire Jean Maillard pour tenter d'exprimer, dans une correspondance visuelle, l'ivresse de lumière et de vie de ces tableaux à la gloire de l'Espagne. Douze pièces auxquelles rien ne se peut comparer dans toute l'histoire du piano, conduites avec une intense vitalité, une imagination prodigieuse, une exaltation d'alchimiste en quête d'un véritable magnétisme sonore : chacune d'elles porte, comme précédemment, un nom de ville (Malaga, Jerez) ou de lieu (El Puerto, Triana), presque toujours andalou, et se réfère à l'accent des vieilles cantilènes mauresques.

Par ailleurs, Albéniz ouvre ici la voie aux conquêtes pianistiques les plus importantes du xxe siècle (Messiaen, Boulez, Stockhausen), en exploitant les possibilités encore inconnues de l'instrument et en innovant sur le plan de la technique.

La jubilation de ce poème de l'exil ne doit pourtant pas en masquer la secrète nostalgie. Si Albéniz a élu domicile en France, c'est à la suite des difficultés et des épreuves qu'il avait rencontrées dans la promotion d'un opéra national espagnol, lors d'une saison organisée à Barcelone avec Enrique Morera (1902). L'incompréhension de ses compatriotes l'avait d'autant plus affecté qu'une œuvre comme Pepita Jimenez, la mieux venue de ses comédies lyriques, devait connaître un triomphe à Bruxelles et à Prague.

Curieusement, du reste, à l'heure de sa mort (à Cambo-les-Bains, le 18 mai 1909), il n'était encore, pour les amateurs et même une grande partie de la critique, qu'un aquarelliste plein de truculence dont la folle prodigalité pouvait jeter à tous vents des « pièces pittoresques » à résonances folkloriques.

Aujourd'hui, on salue en lui un des plus intrépides explorateurs du monde sonore et, dans le frisson nouveau qu'il a suscité en évoquant le chant profond de sa race, l'un des plus grands poètes du piano de toute l'histoire.

— André GAUTHIER

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Isaac Albéniz - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

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