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BABEL ISAAC (1894-1940)

« La Cavalerie rouge »

Ce cycle de trente-quatre récits (trente-cinq à partir de l'édition de 1933), qui ne représente que cent cinquante pages environ, a été édité à huit reprises entre 1926 et 1933. Dans l'ensemble, la critique accueillit ce livre avec enthousiasme. Des accusations politiques ne manquèrent toutefois pas de se faire entendre. Le journal intime que tenait Babel à l'époque de la Ire armée montée, pendant l'été de 1920, est le miroir de ce que vivait le jeune écrivain, alors collaborateur du journal Krasnyj Kavalerist (Le Cavalier rouge) sous le pseudonyme de Kirill Lioutov. Le narrateur de La Cavalerie rouge, qui se nomme Lioutov dans trois récits, apparaît totalement contradictoire dans ses opinions et ses comportements. Ce juif cultivé, condamné à la solitude aussi bien parce qu'il est juif que parce qu'il est cultivé, redoute la disparition de la culture juive natale tout autant qu'il brûle de pénétrer dans le monde brutal et intrépide des cosaques, et d'imposer à ce monde l'idéologie révolutionnaire. Toutefois, il ne s'identifie totalement avec aucun des principes évoqués : il éprouve de l'aversion pour le monde étouffant des zones de résidence pour juifs, et la sauvagerie primitive des cosaques lui fait horreur, tout comme le fanatisme des agitateurs bolcheviques.

Par ailleurs, l'ordre des récits de La Cavalerie rouge n'est pas le même que celui des événements. Le lien interne, complexe, est créé par des motifs parallèles et récurrents : les images de la mythologie chrétienne et les images folkloriques, les astres célestes, la symbolique des couleurs et nombre d'autres leitmotivs. La vivacité de ces motifs, combinée avec celle, éblouissante, de la langue, permet de rattacher Babel au genre d'écriture qu'il est convenu d'appeler prose ornementale. La forme du skaz (stylisation du discours oral, principalement celui des couches sociales intérieures) et les particularités de sa langue transmettent l'effroi que suscite l'inaccessibilité du monde sauvage des cosaques ; le skaz babélien prolonge davantage la tradition de Zamiatine que celle de Leskov. Tout le tissu narratif de La Cavalerie rouge est composé de thèmes qui s'interpénètrent, liés aussi bien au hassidisme qu'au catholicisme polonais et au monde cosaque dans ce que leur histoire a de commun sur près de trois cents ans. La triple approche de l'auteur trouve l'expression d'une certaine harmonie dans l'organisation rigoureuse du texte.

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