WALDBERG ISABELLE (1911-1990)
À la lumière des réexamens qui ont marqué l'histoire de l'art, les femmes créatrices et leurs œuvres occupent désormais une place de tout premier plan, et l'on reconnaît que leur rôle et leur inventivité ont été beaucoup plus décisifs qu'on ne le pensait. Secrètes, la plupart du temps masquées par les hommes, célèbres ou non, avec lesquels elles ont partagé les risques de toutes les avant-gardes, des artistes comme Meret Oppenheim, Dorothea Tanning, Germaine Richier, Toyen, Bona et Manina, pour ne citer que quelques-unes d'entre elles, rejoignent une Sonia Delaunay ou une Vieira da Silva, qui ont été exceptionnellement reconnues assez tôt. Dans une telle perspective, on peut s'étonner qu'Isabelle Waldberg et son œuvre de sculpteur aient suscité si peu de commentaires de son vivant.
Née à Oberstammheim (Suisse) en 1911, elle s'appelait en réalité Margaretha Farmer. Épouse de l'écrivain Patrick Waldberg, qui fut le brillant chroniqueur et essayiste du surréalisme et de la vie intellectuelle et artistique d'avant et d'après guerre, elle avait commencé par fréquenter avec lui le groupe qui gravitait autour de Georges Bataille, au moment de la fondation de la société secrète Acéphale. Ses études de sociologie et d'ethnographie à l'École des hautes études de la Sorbonne, entre 1938 et 1940, pendant lesquelles elle a préparé une thèse sur Nietzsche, lui permirent de ne jamais dissocier le travail des formes de la recherche d'un sens nouveau à leur donner. Elle avait suivi, précédemment, entre 1936 et 1938, les cours de 1'académie Colarossi sous la direction de Gimond et de l'académie Ranson sous la direction de Charles Malfray.
Consciente de la nécessité de s'ouvrir à toutes les cultures du monde, s'accordant au même désir de dépassement des traditions européennes que Giacometti ou Max Ernst, dont elle fut également l'amie attentive, Isabelle Waldberg commence son œuvre en 1943, à New York, où elle a accompagné les surréalistes en exil, avec des Constructions en fil de fer qui lui sont inspirées par les œuvres des Indiens d'Amérique. C'est à New York également qu'elle fait la connaissance de Robert Lebel, qui fut, jusqu'à sa mort, son principal interprète et défenseur. Quand elle revient à Paris en 1946, Marcel Duchamp lui cède, pour qu'elle y travaille, son atelier de la rue Larrey.
Pendant plus de quarante ans, l'œuvre d'Isabelle Waldberg s'est orientée vers la recherche d'un espace architectural symbolique propre à la sculpture, dont le Palais à quatre heures du matin de Giacometti fut sans doute le modèle originel.
L'homme seul, Homme situé, Animal, Saint Sébastien, réalisés autour de 1968, époque au cours de laquelle elle a placé ses figures en plâtre patiné entre des cloisons en liège, sont des aboutissements de cette recherche. Le sentiment sous-jacent à toutes ses sculptures est celui de l'enfermement dans l'intériorité, mais, dans chacune d'elles, le sculpteur procède en guise d'ouvertures à une exploration des plis, des replis, des cavités, des organes et de l'ossature de cette intériorité même. Des œuvres comme La Ruine (1965), Portrait intérieur (1970), Le Cyprès dans la cour (1974) peuvent être déchiffrées comme des totems de la sexualité masculine et féminine, mais aussi comme des monuments à une puissance inconnue, qui organiserait secrètement la structure de tous les êtres vivants. Moins tragique et surtout moins expressionniste que la sculpture de Germaine Richier, plus sensuelle et plus explosive que celle d'Alicia Penalba, plus libre et plus énigmatique que celle d'Étienne-Martin, la sculpture d'Isabelle Waldberg participe d'une inventivité formelle comparable à celle de peintres surréalistes comme Victor Brauner au moment de sa période des «[...]
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Écrit par
- Alain JOUFFROY : écrivain
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