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ISHIKAWA JUN (1899-1987)

Pareil aux artisans et artistes de l'époque d'Edo dont il fit les personnages truculents d'une de ses œuvres marquantes, Shokoku Kijin Den (« Vies d'excentriques de toutes les provinces », 1957), Ishikawa Jun fut longtemps considéré, dans les milieux littéraires japonais, comme un « original ». En effet, peut-on rêver écrivain plus inclassable que lui ? Son goût du paradoxe, son mépris des conventions déconcertent et parfois même irritent, tandis que l'étendue de sa culture et la maîtrise de son style suscitent l'admiration et font de lui le dernier vrai « lettré » dans la tradition des intellectuels confucéens. Ishikawa est parvenu, à l'écart de toutes les écoles, et sans se départir d'une discrétion rare, à imposer aux lecteurs, au fil de son œuvre, la puissance d'un univers chaotique que certains écrivains plus jeunes, Abe Kōbō, Fukunaga Takehiko, Oe Kenzaburō, ont reconnu comme leur. La place fondamentale qu'il a occupée dans la littérature japonaise contemporaine est donc indéniable. Une question pourtant reste posée, que ne résout pas entièrement la publication de son roman Kyōfūki (« Chroniques du vent fou », 1980) : n'y a-t-il pas, dans cette œuvre qui apparaît comme une tentative pour créer des mythes à la mesure du monde contemporain, une part de mystification ?

Un univers où la satire le mêle à l'onirisme

Né en 1899 à Tōkyō, Ishikawa vient relativement tard à la création romanesque, en publiant en 1935 une série de nouvelles. Sur sa vie et ses activités avant cette date, les rares éléments dont nous disposons n'en apparaissent que plus significatifs : après des études de littérature française, il affine son talent à travers la traduction d'œuvres d'Anatole France (Le Lys rouge, 1923), d'André Gide (L'Immoraliste, 1924 ; Les Caves du Vatican, 1928) et de Molière (Le Misanthrope, 1934), auteurs dont le ton va marquer ses écrits autant que les conteurs populaires de l'époque d'Edo, à qui il doit sans doute son penchant pour la farce. Il fut d'autre part attiré dès sa jeunesse par certaines formes de pensée subversive, notamment l'anarchisme : l'un de ses romans, Hakutōgin (« La Mélopée des cheveux blancs », 1957), qui retrace, dans le Tōkyō des années vingt, l'itinéraire spirituel d'un étudiant nihiliste, puise certainement son inspiration dans des expériences personnelles de l'écrivain.

Un an après ses débuts de romancier, il obtient le prix Akutagawa (le plus important prix littéraire japonais) pour Fugen (1936), importante nouvelle dont la structure n'est pas sans rappeler celle des Faux-Monnayeurs et qui, par certains de ses thèmes (rapports du héros avec la réalité, rôle purificateur du désespoir dans la renaissance à une vie nouvelle), contient déjà en germe l'essentiel de l'œuvre ultérieure. Le romancier affirme son indépendance d'esprit, son goût de l'opposition et de la satire, dans Marusu no Uta (« L'Hymne de Mars », 1938), récit antimilitariste interdit par la censure au moment même où les troupes japonaises envahissent la Chine. Pendant la guerre, il se consacre notamment à la critique littéraire, avec Mori Ogai Ron (« Essai sur Mori Ogai », 1941) et Bungaku Taigai (« Les Grandes Lignes de la littérature », 1942), textes où l'on peut découvrir des clefs pour pénétrer dans son univers romanesque.

Mais c'est à partir de 1946 que le génie de l'écrivain se révèle de façon éclatante, dans une série de nouvelles : Ogon no Densetsu (« La Légende dorée », 1946) ; Mujintō (« La Lumière qui ne s'éteint pas », 1946) ; Yakeato no Iesu (« Le Jésus des ruines », 1946) ; Shojo Kaitai (« L'Immaculée Conception », 1947), où les images, concepts et miracles de la Bible lui permettent de transmuer[...]

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Écrit par

  • : maîtrise de lettres (U.E.R. de littérature comparée, université de Paris-III-Sorbonne), diplômée d'études et de recherches appliquées en littérature japonaise (Institut national des langues et civilisations orientales, université de Paris-III), traductrice

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Autres références

  • JAPON (Arts et culture) - La littérature

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    • 22 458 mots
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    Comment survivre ? Lorsque Ibuse Masuji (1898-1993) et Ishikawa Jun (1899-1987) se décidèrent à entrer dans les lettres, l'un vers 1930, l'autre vers 1935, ils n'ignoraient pas les difficultés qu'ils affrontaient. Ibuse Masuji passa longtemps pour un auteur « populaire ». Toujours en voyage, il parcourt...