Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

ISHIKAWA JUN (1899-1987)

L'énergie créatrice

À travers les nombreux volumes d'essais publiés dans les années cinquante sous le pseudonyme d'Isai, notamment Isai Hitsudan (« Dialogues écrits d'Isai », 1952), l'on voit se dessiner une théorie du roman fondée sur ce concept d'énergie pris dans un sens très large : énergie mentale de l'écrivain qui donne l'impulsion à une œuvre, bien sûr, mais aussi pouvoir presque magique du mot et de la phrase qui, par un mécanisme quasi autonome, vont infléchir le cours de cette œuvre dans des directions que l'auteur, au départ, ne soupçonnait pas. Cette confiance dans le dynamisme du mot (« Une seule phrase écrite avec justesse engendre, à coup sûr, son propre mouvement ») et du texte entier (« D'une œuvre réussie, il ne convient pas de dire qu'elle est bien construite, mais que la force en jaillit »), bref, cette conception selon laquelle c'est la continuité d'un élan mental qui imprime au roman sa réalité intrinsèque, est tout à fait originale dans le roman japonais du xxe siècle. L'une des qualités les plus remarquables de l'écriture d'Ishikawa, c'est le souffle qui la traverse, une respiration tantôt interminable, tantôt haletante, rythme qui, loin de tout artifice de style, est l'émanation la plus directe de l'élan mental cher à l'écrivain. Cet élan semble toutefois mieux s'incarner dans les formes courtes ou de moyenne importance, qu'il cultiva avec prédilection après la guerre, que dans les longs romans publiés plus récemment : l'un de ses chefs-d'œuvre demeure en effet une nouvelle, Shion Monogatari (« Le Dit des asters », 1956), où il nous conte, dans l'atmosphère brutale et raffinée d'un Japon ancien, presque mythique, la quête entreprise par son héros dans la difficile « voie de l'arc ». La nostalgie de l'absolu, invariablement présente, n'emprunte plus les masques de l'allégorie, comme tel est souvent le cas dans d'autres œuvres : elle s'exprime dans un lyrisme très pur, où se révèle un visage encore trop négligé de cet écrivain – car ce redoutable styliste, ce témoin railleur des contradictions de notre époque, fut aussi et surtout un poète visionnaire.

— Dominique PALMÉ

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : maîtrise de lettres (U.E.R. de littérature comparée, université de Paris-III-Sorbonne), diplômée d'études et de recherches appliquées en littérature japonaise (Institut national des langues et civilisations orientales, université de Paris-III), traductrice

Classification

Autres références

  • JAPON (Arts et culture) - La littérature

    • Écrit par , et
    • 22 458 mots
    • 2 médias
    Comment survivre ? Lorsque Ibuse Masuji (1898-1993) et Ishikawa Jun (1899-1987) se décidèrent à entrer dans les lettres, l'un vers 1930, l'autre vers 1935, ils n'ignoraient pas les difficultés qu'ils affrontaient. Ibuse Masuji passa longtemps pour un auteur « populaire ». Toujours en voyage, il parcourt...