ISLAM (La civilisation islamique) Islam et politique
Les réalisations historiques
Le droit et le fait
Telles sont brièvement résumées les principales règles de philosophie politique et d'organisation sociale habituellement décrites dans les ouvrages classiques. Mais quel fut leur impact sur la situation concrète ? Cette représentation de la cité musulmane ne reste-t-elle pas tout idéale, n'est-elle pas sans cesse dénoncée par les conditions réellement vécues ? Il y eut, tout au long de l'histoire musulmane, une tension entre le droit et le fait, mais le droit ne cessa jamais d'être revendiqué. Des annalistes et historiens musulmans en prennent prétexte pour déplorer la décadence des mœurs, reportant dans le passé l'âge d'or de la umma. Des historiens et sociologues occidentaux, eux, feraient aisément de toute évocation de la umma une construction arbitraire des juristes travaillant a priori sur des textes.
En réalité, le problème semble devoir se situer dans une perspective différente. Les sociétés musulmanes du passé connurent bien des crises de doute ou de négation, de relâchement des mœurs, de recours à l'arbitraire. Il reste à leur honneur qu'elles ne renoncèrent jamais, par leurs penseurs les plus qualifiés, aux principes mêmes de la « commanderie du bien et de l'interdiction du mal ». Comment apprécier si cette tension fut source de dynamisme ou facteur d'ankylose ? En fait, une philosophie politique est volontiers sollicitée en deux sens contraires : ou bien construire dans l'idéal une cité parfaite, toute dépendante de la vision du monde du philosophe, à la manière de la République de Platon, ou de la Madīna al-faḍīla de Fārābī en climat islamo-shī‘ite ; ou bien coordonner les analyses du sociologue en des lois fondées sur l'expérience et l'interprétation des faits ; ainsi, la Constitution d'Athènes d'Aristote ou, en milieu musulman, la Muqaddima d'Ibn Khaldūn. La philosophie politique sunnite relève des deux tendances à la fois ; fidèle à ce « juste milieu » cher à l'islam classique, elle s'efforce toujours de les corriger l'une par l'autre, de les transcender l'une par l'autre. Société idéale sans doute, qui n'est jamais pleinement réalisée, mais qui tend à soumettre à des principes normatifs les réalités existantes. Telle est la siyāsa al-shar‘iyya, « la politique conforme à la loi religieuse », celle qu'on a présentée plus haut et qui, sur des bases coraniques et traditionnelles, entend décrire les cadres généraux d'une cité musulmane type, définir les notions de pouvoir et de loi, fixer les principales fonctions exécutives et judiciaires, et les conditions exigées de quiconque les exerce. Il n'est plus permis, dès lors, de s'étonner d'un décalage entre le droit et le fait, comme s'il y avait là une mise en accusation des principes. D'une part, il est vrai, les normes sont données a priori, et les principes de base sont considérés comme révélés par Dieu. D'autre part, les institutions adoptées subirent presque toujours des influences extra-musulmanes ; et ce fut la sagesse de l'islam sunnite de savoir intégrer ces apports : il en résulte que toute l'évolution du califat et du pouvoir judiciaire pourrait se décrire selon le jeu de pures contingences historiques. Mais, dans ces conditions, l'esprit même qui anima ces institutions et leur spécificité dans l'histoire universelle resteraient lettre morte. En réalité, il ne s'agit pas seulement d'étudier comme de l'extérieur les États musulmans du passé, et de réinterpréter leur vie sociale et politique à la lumière de principes qui ne furent pas les leurs, mais de savoir d'abord comment ils interprétaient, eux, et jugeaient leurs propres institutions. Un « idéal historique concret » appartient autant au passé ou au présent d'un peuple que les coupes sociologiques[...]
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Écrit par
- Louis GARDET
: ancien professeur au collège philosophique et théologique de Toulouse, co-directeur de la collection Études musulmanes, collaborateur de l'
Encyclopédie l'Islam - Olivier ROY : directeur de recherche au C.N.R.S.
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