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ISLAM (La civilisation islamique) Islam et politique

Islam et État

Contrairement à une idée souvent reçue, la question des relations entre les États des pays musulmans (c'est-à-dire où la majorité de la population est musulmane) et l'islam ne se pose de manière aiguë que depuis la fin des années 1970. Auparavant, la configuration dominante était celle d'un pouvoir de fait (sultan, roi, émir), légitimé par le corps des oulémas (docteurs de la loi) et régnant sur une société régie par un droit mêlant charia et droit coutumier. C'est la mise en avant de nouvelles sources de légitimité qui a remis en cause cette structure traditionnelle. La plupart des États du monde musulman contemporain, à l'exception des monarchies, se sont construits, au cours du xxe siècle, sur une légitimité nationale et modernisatrice, où prédominait l'élément laïque (visible en particulier dans les législations sur le statut personnel). Luttes d'indépendances (Indonésie, Tunisie, Algérie, Sud-Yémen, Bangladesh, Palestine) ou du moins anti-impérialistes (Turquie avec Atatürk, Égypte avec Nasser), nationalisme arabe mâtiné de socialisme (Nord-Yémen, régimes baasistes d'Irak et de Syrie, et, d'une certaine manière, Somalie), modernisation autoritaire (Iran du chah) ou prudente (Afghanistan) : dans tous les cas, la légitimité historique des régimes issus de la décolonisation n'avait guère à voir avec l'islam. Beaucoup de penseurs du nationalisme arabe, comme Michel Aflak, étaient par ailleurs des chrétiens. Par contraste avec ce modernisme, les monarchies traditionnelles (Maroc, Arabie Saoudite) et les émirats du Golfe fondaient leur légitimité sur une logique à la fois tribale et religieuse, mais où le religieux était soumis au politique du fait que ces monarchies se présentaient comme le meilleur rempart de l'islam. Les monarchies plus récentes (Iran, Irak, Libye et Égypte) ont été confrontées, dans les années 1950, à des mouvements provenant essentiellement de la gauche nationaliste (à l'exception de la Jordanie où l'opposition venait des Palestiniens, quoique ceux-ci relevassent également d'une gauche nationaliste). Le seul État à avoir été créé explicitement sur sa spécificité musulmane, le Pakistan (1947), a connu en fait des Constitutions et une législation plutôt laïques jusqu'en 1974.

Une problématique contemporaine

Or, à partir des années 1970, tous les États musulmans sont confrontés à un « retour » de l'islam sous deux formes : d'une part la contestation politique islamiste, qui prône la mise en place d'un État véritablement islamique et prend parfois des formes violentes, et d'autre part un mouvement de ré-islamisation par le bas, mené par des milieux conservateurs, comme les oulémas, qui s'appuient sur l'héritage culturel et social de l'islam dans la société et qui, sans nécessairement remettre en cause les régimes en place, demandent une plus grande islamisation du droit et de la société. Il ne faut évidemment pas opposer systématiquement ces deux tendances : des mouvements islamistes comme les Frères musulmans égyptiens ont joué sur les deux registres depuis leur fondation.

Cette double contestation a conduit la plupart des régimes à favoriser d'une part une ré-islamisation sociale et juridique pour se maintenir, en courtisant les milieux conservateurs, et à contrer d'autre part la contestation politique islamiste soit par la répression, soit – plus rarement – par une cooptation bien contrôlée. Bien sûr, ces politiques varient beaucoup sur l'espace concerné. Elles s'ordonnent sur un éventail assez large qui va d'un pôle laïque intransigeant, incarné par la Turquie ou la Tunisie, à un pôle islamiste, représenté par l'Iran, le seul pays où ait eu lieu une véritable révolution islamique (avec, dans une moindre mesure, le Soudan).[...]

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Écrit par

  • : ancien professeur au collège philosophique et théologique de Toulouse, co-directeur de la collection Études musulmanes, collaborateur de l'Encyclopédie l'Islam
  • : directeur de recherche au C.N.R.S.

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