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ISLAM (La civilisation islamique) La philosophie

Kindī et ses successeurs

Le premier de ces philosophes, arabe lui-même et de noble lignée comme cela est mentionné traditionnellement, est Abū Yūsuf Ya‘qūb b. Isḥāq al-Kindī, né vers la fin du iie/viiie siècle et mort après 256/870. Son œuvre abondante tant en philosophie qu'en sciences ne nous est parvenue que très partiellement, pour un cinquième environ des deux cents titres et plus que mettent sous son nom les biobibliographes. Son activité scientifique couvre tout le champ du savoir, des mathématiques à l'astrologie, et touche même à plusieurs techniques. Nombre d'indices, biographiques et internes à son œuvre, conduisent à penser que dans les dissensions religieuses de son époque il avait épousé les thèses mu‘tazilites les plus proches de la philosophie. Contemporain du grand mouvement de traduction en sa phase la plus productive, il y prit part lui-même en groupant autour de lui les traducteurs de plusieurs ouvrages néo-platoniciens (c'est pour lui qu'Ibn Nā‘ima traduisit l'apocryphe Théologie d'Aristote). Souvent, il se réfère explicitement à des auteurs grecs : il donne son Épître sur l'âme pour « un résumé d'Aristote, de Platon et des autres philosophes » ; il écrit tout un traité sur les livres d'Aristote, leur classification et leur contenu (il n'y cite pas la Théologie). Ce même traité contient une sorte de discours de la méthode, qui fait des mathématiques et de la logique la propédeutique à la philosophie. La place de celle-ci dans le champ théorique, historique et spirituel est nettement précisée dans le chapitre i de son Livre de la philosophie première (Kitāb al-falsafat al-ūlā), dont il ne nous reste que la première partie, composée de quatre chapitres. Combinant des définitions transmises par les philosophes grecs d'Alexandrie, il la présente comme « le plus haut et le plus noble des arts humains, science des choses en leur vérité autant que l'homme en est capable » ; le but du philosophe est de connaître le vrai et d'agir selon le vrai. Deux des mots caractéristiques employés ici sont falsafa et faylasūf, et la simple transposition d'une langue à l'autre rend la référence au grec immédiatement évidente. Elle est présente aussi dans la suite, où Kindī rend hommage à ses prédécesseurs, évoque l'accumulation séculaire des acquis philosophiques, expose au long son projet de mener à l'achèvement, « selon l'usage de la langue et la coutume du temps », ce qu'ont élaboré avant lui « des gens qui parlaient un autre langage [...], des peuples lointains et des nations étrangères » : ces pages reprennent, et parfois à la lettre, divers passages d' Aristote, notamment du livre α de la Métaphysique. On trouve encore dans ce premier chapitre une critique violente de prétendus savants en matière religieuse, mais qui sont en fait étrangers à la religion comme ils le sont au vrai : car, précise Kindī, « la science des choses en leurs vérités » (c'est-à-dire la philosophie) est d'une part la science de l'unité et de la souveraineté divines, d'autre part la science de la vertu : cela même qu'ont apporté les prophètes. Ainsi, dès le début de cette œuvre essentielle est scellé l'accord entre la philosophie et la religion ; en écho pour ainsi dire, le chapitre iv (ici s'arrête pour nous cet ouvrage) se conclut par un assez long développement philosophique sur la création, analysée comme une donation aux choses de l'unité émanée de « l'Un vrai et premier » auquel on ne peut attribuer aucune des catégories et notions philosophiques, comme il a été établi au long de ce chapitre. Ce dernier point exprime, dans un vocabulaire néo-platonicien, un thème essentiel au kalām mu‘tazilite, parfaitement net ici, comme l'est à la[...]

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Écrit par

  • : professeur de première supérieure au lycée Lakanal
  • : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section, sciences religieuses)

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