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ISLAM (La civilisation islamique) La philosophie

La philosophie en Iran

Si la tradition philosophique de la falsafa prend fin avec la polémique d'Ibn Rushd, cet événement n'épuise pas la vitalité de la philosophie islamique. Les penseurs iraniens n'ont cessé d'en nourrir la pensée, et cela pendant dix siècles. Rédigeant leurs traités en arabe ou en persan, les philosophes iraniens ont conçu leur œuvre comme une explicitation métaphysique du fait prophétique muhammadien, ou de la révélation de l'ésotérique du Livre saint. Sunnites ou shī‘ites, ils sont le plus souvent des gnostiques, pour qui l'élaboration conceptuelle ne se sépare jamais d'une réalisation personnelle et d'une expérience vécue.

Une première lignée de penseurs peut être isolée et identifiée par leur appartenance au vaste courant de l' ismaélisme. On reconnaîtra ainsi que l'éclosion des traités fatimides a permis une renaissance de la spéculation néo-platonicienne. Nous mentionnerons le plus grand, sans doute, des philosophes iraniens gagnés à la cause fatimide, Abū Ya‘qūb Sejestānī (mort à la fin du xe siècle). Le but de ce dignitaire ismaélien fut de traduire le tawhīd, la profession de foi en l'unicité divine, dans les termes d'un apophatisme rigoureux. L'Un est au-delà de l'existant, et il transcende l'être. Il est au-delà de toute nomination. Sejestānī est dans la droite ligne de Plotin. Mais entre l'Un suressentiel et ses émanations, l'Intelligence, l'Âme et la Nature, Sejestānī introduit l'acte qui fait advenir l'être et qui est le Verbe ou l'Impératif. L'anthropologie recueille les leçons de cette structure ontologique. L'imām, homme parfait, est, en effet, la manifestation de l'impératif divin. Cet apophatisme radical est l'inspiration de l'autre grand philosophe fatimide, Abū Mo‘in Nāsir-e Khosraw, né en 1004 dans le Khorassān. Dans son Livre réunissant les deux sagesses, il construit une stricte hénologie négative. Il médite le concept de l'ibdā' ou instauration primordiale, le rapport du temps à l'éternité. Son but est d'homologuer les divers degrés de l'émanation aux nombres issus de l'Un, puis de leur faire correspondre les divers degrés de la Convocation ou hiérarchie ismaélienne. Mais il produit aussi une remarquable analyse nominaliste du genre, de l'espèce et de l'individu, ainsi qu'une anthropologie mystique où la seconde naissance de l'homme s'apparente à la résurrection spirituelle.

La philosophie ismaélienne accompagne l'expérience historique de la réforme d' Alamūt. En 1164, la proclamation de la Grande Résurrection délivre les fidèles du joug de la loi. Le bilan métaphysique de cette révolution fut tiré plus tard par l'esprit universel que fut Nasīr al-Dīn Tūsī (1201-1274) dans ses Tasawwūrāt. Mieux, ce penseur, d'abord ismaélien, rallié ensuite au shī‘isme duodécimain, illustre les divers domaines du savoir médiéval : mathématicien, astronome, grand politique, il accomplit au moins deux gestes théoriques décisifs pour la culture iranienne islamique. D'une part, il cherche, dans l'horizon d'Aristote, à fonder l'Éthique, en ses Akhlāq-e Nāsirī ; d'autre part, il sauve l'héritage d'Ibn Sīnā en commentant habilement le Kitāb al-Ishārāt. Enfin, il unit philosophie et théologie dans ses divers ouvrages où il fonde le kalām shī‘ite.

Cependant, c'est plutôt dans l'élément du soufisme que nous devons situer la plus grande révolution philosophique connue par la pensée iranienne : celle de Suhrawardī (1155-1191). Sa philosophie de l' illumination est responsable de ces trois données : d'une part la réconciliation de l'Iran pré-islamique et de la spiritualité néo-platonicienne, d'autre part la construction d'une[...]

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  • : professeur de première supérieure au lycée Lakanal
  • : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section, sciences religieuses)

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