ISPAHAN
Le dépeuplement
En 1387 Tamerlan fait châtier exemplairement la ville, qui s'est rebellée contre ses collecteurs d'impôts. La troupe reçut l'ordre de massacrer toute la population mâle et de construire des tours de têtes coupées. L'opération fut soigneusement planifiée. Tandis que des détachements isolaient quelques demeures de privilégiés, chaque unité eut à présenter un nombre de têtes déterminé aux comptables de l'armée. Un chroniqueur rapporte : « Certains soldats qui ne voulaient pas tuer [d'autres musulmans] de leur propre main achetaient des têtes aux guerriers turcs de Tamerlan et les remettaient [aux comptables]. Au début de l'opération une tête valait vingt dinars transoxianais ; à la fin, quand chacun eut livré sa quote-part, le prix d'une tête tomba à un demi-dinar et personne n'en achetait plus. Mais tout pareillement [les tueurs] continuaient à tuer ceux qu'ils trouvaient. » Un autre note : « À la fin les soldats ne trouvaient plus d'hommes. Il rasaient la tête des femmes et la leur coupaient, et remettaient ces têtes aux commissaires. » L'historien Hāfez-e Abrou, un des commensaux de Tamerlan, témoin oculaire de l'extermination, raconte : « D'après les registres et les procès-verbaux on recueillit soixante-dix mille têtes. Entre soldats on s'achetait des têtes et on les présentait aux points fixés pour cela. Sur ordre de Tamerlan on en fit des minarets et des tas. Je me promenais ce jour-là avec Abdollah Lesān, l'astrologue [de Tamerlan], hors de la ville, de la porte du Tuqtchi jusqu'à la citadelle de Tabarak, ce qui équivaut à la moitié de son pourtour. On avait construit des minarets de têtes. Nous en comptâmes vingt-huit, chacun étant fait, l'un dans l'autre, de plus de mille têtes et de moins de deux mille. Il pouvait y en avoir approximativement quinze cents en moyenne. Ce qui fait quarante-deux mille têtes. Il y avait aussi des minarets des autres côtés de la ville, mais la majeure partie était de ce côté-là. »
D'après le calcul précis de l'historien persan, on peut évaluer la population d'Ispahan à quelque cent mille âmes au moment du massacre. Notons que la ville se repeupla, partiellement, très vite, puisqu'en 1393 Tamerlan la rançonnait de nouveau. Elle fut derechef saignée au cours du xve siècle : pendaisons de notables en 1446, massacre général en 1454. Vingt ans plus tard, un voyageur vénitien évalue sa population à 50 000 habitants. En 1523, un voyageur portugais à 20 000. Les troubles qui précèdent l'arrivée des Séfévides au pouvoir, et surtout la persécution religieuse déclenchée par ceux-ci, ont fait de nouvelles victimes. Mais on donne, pour la fin du siècle, 80 000 habitants. C'est que les Séfévides se sont intéressés à la prospérité d'Ispahan avant même d'y avoir transféré leur capitale. Ils y recrutent, depuis leur accession au trône, leur haut personnel administratif. Chāh Ismā‘il, qui aime la région, abondante en gibier, y dessine le parc de Naqch-e Djahān. Sous son règne commencent, ou plutôt continuent (car les Muzaffarides au xive siècle et les Timourides au xve siècle avaient, entre leurs guerres, été des bâtisseurs) les restaurations et les embellissements de monuments.
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Écrit par
- Jean AUBIN : directeur d'études à l'École pratique des hautes études
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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