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ITALIE Langue et littérature

Esprit de la littérature

Héritage et création

Né, comme les autres langues romanes, du latin tardif, l'italien écrit est toscan par le vocabulaire, mais reste latin par la syntaxe : dès l'origine, le divorce entre langue écrite et langue parlée fut consommé, et, jusqu'à nos jours, la littérature italienne souffre de cette situation. L'italien écrit est un italien rhétorique, redondant, comme vaniteux de sa supériorité sur l'italien usuel. Le cas le plus typique est celui de Boccace : Boccace écrit des contes qui débordent de vie, d'esprit, d'astuce, où les épisodes se succèdent tambour battant, mais il les rédige dans une prose oratoire copiée sur la prose latine, et la période trop ample et trop lourde de ses phrases dilue la saveur du récit. Ce qui était vrai au xive siècle n'a pas cessé de l'être au xxe siècle. Le plus grand philosophe, essayiste et critique italien de notre époque, Benedetto Croce, compose ses livres comme des dissertations, avec des balancements oratoires qui en rendent la lecture fastidieuse toujours, souvent insupportable.

Les « professionnels » de la littérature

Le souvenir de la Rome antique et de ses splendeurs a été fatal pour la littérature italienne. Depuis la chute de l'Empire romain jusqu'à l'écroulement du fascisme, la péninsule a été la proie tantôt d'invasions étrangères, tantôt de guerres civiles, et si les infortunes de la patrie ont inspiré quelques-uns de leurs plus beaux accents aux principaux écrivains italiens, ils ont constamment puisé pour les exprimer dans le seul trésor resté intact parmi tant de désastres, à savoir l'intarissable réserve de belles phrases tournées et polies à l'époque glorieuse par les orateurs latins et en particulier par le plus illustre d'entre eux, Cicéron. C'est ainsi qu'un avocat, un rhéteur, un virtuose du balancement et du chantage oratoire, habitué, par son métier même, à noyer l'objet du débat dans des cadences symétriques propres à flatter l'oreille non moins qu'à endormir l'esprit, préside aux destinées de la prose italienne. S'étonnera-t-on qu'elle nous paraisse si lente, si encombrée de généralités, de pléonasmes et de chevilles, si peu moderne enfin ? Combien un Boccace, un Pétrarque, un Leopardi même (dans son journal intime, si intéressant) eussent gagné à écrire plus vite, en sautant les transitions, en rompant la monotonie d'un rythme obstinément didactique ! Aujourd'hui, il est presque impossible de trouver un ouvrage de critique littéraire, de critique d'art ou d'histoire qui ne tombe des mains, à cause de cette prolixité, de ce verbiage pâteux.

C'est là une véritable maladie nationale. Antonio Gramsci en faisait remonter la cause à la fracture qui marqua la fin des communes libres du Moyen Âge et l'avènement des principautés de la Renaissance. Tandis qu'au temps des Communes la langue utilisée pour écrire était vraiment la langue du peuple, les professionnels de la littérature que furent les humanistes auraient imposé un retour au latin et à la langue « cultivée », expression de la caste au pouvoir. Cette thèse prend le contre-pied de tout ce que Jacob Burckhardt et ses successeurs ont dit sur la Renaissance comme époque de renouveau, de splendeur, d'épanouissement. Selon Gramsci, la Renaissance fut au contraire un mouvement de réaction contre les libertés populaires qui s'étaient affirmées pendant les Communes et qui furent balayées par l'installation au pouvoir de la bourgeoisie d'affaires.

Quoi qu'on pense de cette thèse, on ne peut s'empêcher de constater que, dans le domaine de la culture au moins, la plupart des intellectuels, en passant du côté du pouvoir, perdirent cette fraîcheur d'inspiration qui caractérise par exemple le [...]

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé d'italien, docteur ès lettres
  • : ingénieur de recherche en littérature générale et comparée à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle, traductrice
  • : DEA de littérature italienne contemporaine à l'université Sorbonne nouvelle, Paris
  • : professeur des Universités

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