CALVINO ITALO (1923-1985)
La comédie humaine dans le monde du fantastique
Il faut attendre 1965, avec les Cosmicomics (Cosmicomiche), pour voir Calvino publier à nouveau un recueil de récits ; de même que dans Temps zéro (Ti con zero, 1967) qui reprendra des textes de la même veine, deux ans plus tard. Il inaugure ici une forme d'expression tout à fait neuve. Radicalisant sa tendance naturelle à l'utilisation du fantastique et de l'imaginaire, il situe ses histoires dans un espace où notre monde n'est pas encore achevé sous sa forme définitive. Histoires dont les protagonistes sont des cellules, des nébuleuses, des êtres encore mal différenciés dans un processus d'évolution dont les phases sont dilatées sur des millions d'années. Histoires cosmiques, précisément, où le comique garde pourtant tous ses droits, elles renvoient ironiquement à un monde où le temps, l'espace, les êtres sont ceux que nous connaissons et parmi lesquels nous nous mouvons, mais à travers des personnages dont le nom imprononçable (Qwfwq, Xlthlx) et l'absence de forme comme de statut défini sont évidemment une mise en cause du narcissisme complaisant de l'homme actuel.
Ces « choses » indéfinissables, voire innommables, parlent comme tout le monde, et c'est à travers une allégorie d'un genre inédit que Calvino poursuit la réflexion qui n'avait jamais cessé d'être la sienne. Simplement, les références historiques ou intellectuelles laissent une place à un tissu de spéculations et d'hypothèses scientifiques parmi lesquelles il se meut avec un naturel absolu et dans lesquelles il catapulte parfois, de la façon la plus imprévisible, des individus qui font bel et bien partie de notre monde (La Poursuite, Le Conducteur nocturne).
L'apparition de ces mondes improbables où, sous d'autres masques, se joue toujours la même comédie humaine n'est qu'une métamorphose du talent inquiet de Calvino. Fasciné par les possibilités d'interprétation scientifique de la réalité, il revient pourtant au désir de reprendre sous mille formes différentes la question des rapports entre les êtres, inexplicablement jetés dans une nature dont la logique leur échappe autant que leur propre cohérence.
C'est pourquoi la cybernétique est peut-être apparue à Calvino comme un moyen imprévu et totalement nouveau de mêler les cartes et d'en tirer de nouvelles figures. La question d'une combinatoire originale et systématique était déjà présente dans certains textes de Temps zéro ; mais, stimulé par l'influence de Borges, de Queneau et de l'Oulipo, comme par les réflexions de Derrida et de Sollers sur le texte, Calvino est allé beaucoup plus loin encore dans cette direction avec ses deux derniers livres.
Le Château des destins croisés (Il Castello dei destini incrociati 1968-1971) est une tentative extrêmement intéressante d'utiliser les combinaisons offertes par un jeu de tarots, considéré comme support projectif d'histoires parfaitement gratuites. Le personnage, qui distribue et interprète les cartes, est aussi une métaphore de l'écrivain que Calvino a voulu être, et dont l'art consiste à la fois à proposer ces figures et à tenter de les interpréter, récupérant par là même cette subjectivité irréductible dont il avait semblé vouloir se débarrasser par tous les moyens.
Si Dédale est la figure mythique du constructeur de labyrinthe, image qui lui est chère, Calvino se veut ici à la fois Dédale et Ariane, celui qui édifie le labyrinthe de l'œuvre et qui en décrypte le parcours secret, sans pour autant avoir recours aux facilités d'une glose extérieure.
En 1972, Calvino a publié Les Villes invisibles (Le Città invisibili) ; sur un schéma d'une rigueur extrême, le livre réunit des dialogues entre Marco Polo et Koubilai Khan dont le sujet est chaque fois la description d'une ville.[...]
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Écrit par
- Mario FUSCO : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
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